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et des hommes supérieurs en fous et malades... exaltations et halètemens continus de sibylle, dont la violence aurait encore plus de valeur si Michelet ne se mimait lui-même et ne s’interdisait de rien dire avec calme quand il n’est pas réellement en proie au démon ; inquiétude, brisures profondes sous une affectation alarmante de « joie » et d’ « enthousiasme ; en un mot lyrisme auquel j’accorderai toutes les épithètes qu’on voudra pour exprimer l’intensité et la violence, à condition qu’il me soit permis d’ajouter « et petitesse, » voilà l’âme qui se respire dans l’Histoire de Michelet. » C’est un réquisitoire. Contre un passionné, M. Lasserre fait à son tour preuve de passion. Il manque au portrait, pour être vraiment ressemblant, plus d’une touche. Mais il reste que Michelet, à travers l’Histoire de France, n’a su que nous raconter ses propres émotions et n’a fait que l’histoire de sa sensibilité.

Et s’il eût fallu enfin nous montrer le romantisme modifiant, non plus seulement la manière d’écrire l’histoire, mais l’histoire elle-même de notre pays, combien de preuves en eût aisément trouvées M. Lasserre ! Pour n’en pas citer d’autre, quel exemple de romantisme violemment transporté dans les faits lui eût offert une étude de la politique de Lamartine ! Car si Lamartine est devenu, un beau jour, l’auteur en grande partie responsable d’une révolution, ni le progressif changement de ses idées, ni l’immensité de son orgueil ne suffit à nous le faire comprendre. Mais son individualisme a voulu qu’il devînt le centre autour duquel toute la fortune d’un pays graviterait. Depuis le temps qu’il rêvait d’un rôle politique, il s’imaginait sous les traits du sauveur d’un peuple en détresse. Comme René invoquait les orages désirés, il a voulu accumuler sur son front la tempête politique, sans réfléchir que les bouleversemens où un orateur trouve l’occasion soudaine de s’illustrer, sont, pour une infinité de gens, la source d’obscures souffrances et de longues misères.

Je n’ai indiqué que quelques-uns des points qu’aborde M. Lasserre dans le Romantisme français ; j’ai dû laisser de côté bien d’autres questions qu’il soulève en passant. Il ne viendra à l’esprit de personne de faire à ce livre le reproche d’indigence ; l’auteur, à la manière de ceux qui ont longtemps porté dans leur tête un sujet, y a déversé tout le flot de ses réflexions. Rare défaut, très digne d’indulgence ou d’estime. Ajoutons encore que, tel qu’il est, l’ouvrage de M. Lasserre ne peut être tenu pour une « histoire » du romantisme. Il laisse de côté tout un aspect de la question : ce sont les services que le romantisme a quand même rendus à une littérature épuisée. Il y a fait rentrer l’éloquence et la poésie. Il a remis en liberté l’imagination. Il a ajouté