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spontanée, sans comprendre qu’il manquait par là à sa destinée et à son devoir. Ce qui peut être pour sa compagne le mode normal de l’existence, est pour lui diminution et dégradation. C’est ainsi qu’il a signé sa propre déchéance. Il a abdiqué. Et « lorsque la défection de l’homme abandonne à l’empire du génie féminin celles des choses privées ou sociales dont l’esprit viril est l’organisateur et le juge nécessaire, » c’est un grand scandale et un pire danger.

Le signe par où se trahit la maladie d’un organisme, c’est la fièvre. L’état de fièvre est endémique au romantisme : il y a une espèce de vapeur, de brouillard, ou, si l’on préfère, de vertige romantique qui exclut aussi bien toute vision juste, précise, en accord avec la réalité. Est-il question de style ? C’est l’emphase, la gesticulation, la surcharge et l’empâtement des couleurs. Sous cette accumulation d’images et cet amas de traits forcés, on regrette cruellement la simplicité de jadis et le sentiment de la mesure où se reconnaissaient les productions de notre esprit. Est-il question des idées ? Une sorte d’exaltation mystique les fausse et les dénature par un mélange de trouble religiosité. Telle est exactement la part du romantisme dans l’interprétation de certaines idées qui sont depuis lors entrées dans notre atmosphère intellectuelle. Ces idées pouvaient enfermer un contenu positif : elles pouvaient s’adapter exactement à des réalités : le romantisme en a fait des chimères ou des monstres. Par exemple, l’idée de progrès avait fait son apparition dans la littérature bien avant que les romantiques ne fussent entrés en scène ; mais ils ne pouvaient manquer d’accueillir la doctrine dans ce qu’elle a de plus aventureux, et, assignant comme terme au progrès indéfini le bonheur universel, de donner à la foi nouvelle le caractère d’un évangile. Il serait, de toute évidence, un peu puéril de faire d’un mouvement aussi considérable que celui de la Révolution française un succédané du romantisme français. Mais pour expliquer les événemens eux-mêmes de la Révolution, il faut tenir compte de l’état d’âme romantique. En outre vis-à-vis de l’idée révolutionnaire, certains romantiques ont adopté une attitude dont les conséquences continuent de se développer sous nos yeux. Michelet, Louis Blanc, Lamartine publient simultanément leurs histoires de la Révolution, et ils font ainsi franchir une étape décisive au pays. On était resté frappé d’effroi par les souvenirs de la période révolutionnaire : en la poétisant, non seulement ils réconcilient avec elle l’esprit public, et non seulement ils l’absolvent de ses crimes, mais ils l’affublent d’un caractère sacro-saint. La Révolution est un fait, ils la changent en