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il fera l’apothéose de la courtisane et il élira pour le lui prodiguer le sentiment auquel elle a le moins de droits, et qui est le respect. C’est surtout l’amour qui fait délirer la psychologie romantique. Julie dans la Nouvelle Héloïse avait, une fois pour toutes, donné le ton, lorsqu’elle avait choisi précisément l’occasion de sa faute pour parler de vertu. Il est convenu désormais que l’attachement au devoir, le respect de la foi jurée, l’honnêteté et la pudeur sont autant de faiblesses ; mais céder à l’attrait des sens est le moyen de s’élever jusqu’au sublime. Et c’est le moment d’invoquer Dieu. On n’y manque pas. Dieu est de toutes les fêtes amoureuses et parties galantes du romantisme.

Continuons cette analyse. C’est une joie de voir un écrivain honnête homme restituer enfin aux héros du romantisme leur qualité véritable, et de l’entendre appeler, à la vieille mode, « un chat un chat et Rollet un fripon. » On sait que le romantisme a pris à tâche de glorifier le paresseux, l’impuissant, le raté. Aventuriers de profession, escrocs, bandits, forçats, assassins, bouffons, truands, le caractère commun qu’il leur reconnaît, c’est la grandeur morale. Il est temps qu’un éclat de rire ou que le dégoût de cette imposture fasse justice. Antony, un gaillard sans aucun moyen d’existence avouable, force le domicile d’une grande dame qui jadis eut quelque faiblesse pour lui sans savoir qui il était ; il essaie de la violenter dans un hôtel ; finalement il la tue. « Sous l’auréole que lui arrange la phraséologie du bon Dumas, je ne puis m’empêcher de reconnaître un atroce et louche personnage, qui se rencontre dans les annales judiciaires. » Didier tourne la tête à la plus belle courtisane de son temps qui, pour lui, ferme la porte à ses amans riches : « Je l’appelle l’amant de cœur. » Claude Gueux, détenu pour vol dans une maison centrale, assassine le directeur à coups de hache ; on nous donne cet individu pour être, « doux, poli, modeste, mesuré, » choisi comme un lettré ; s’il tue son directeur, c’est après « avoir soumis honnêtement ses raisons aux hommes justes qui l’entourent. » Ce « saint, « ce « pape captif avec ses cardinaux, » n’est en fait qu’un « sinistre cheval de retour. » Rolla est un niais, si Ruy Blas est un fainéant, et tous deux sont des phraseurs. On prolongerait aisément l’énumération. Ce que M. Lasserre a mis en complète lumière, c’est que « dans le personnage sympathique du romantisme une réalité vulgaire apparaît toujours sous la chimère dont s’est dupé l’écrivain. » A la comédie humaine le romantisme a substitué une mascarade, un carnaval et trop souvent une saturnale.

Dans une société en décomposition, personne n’est plus à sa place