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cessant d’y voir clair dans l’âme humaine on n’aperçoit plus ce qu’elle apporte en naissant de mauvais. Comme on ne peut revenir à la « nature » qu’en détruisant tout ce qui, depuis qu’il y a une civilisation, a été institué pour nous en éloigner, l’idéal nouveau sera essentiellement révolutionnaire et anarchique. Les élémens qui le composent sont tout le romantisme. M. Lasserre expose ce point de vue, dès le début de son livre, en quelques-unes de ces formules ingénieuses et saisissantes qui sont fréquentes sous sa plume : « La nature humaine, dans ses attributs propres d’intelligence, de sensibilité intellectuelle, de sociabilité et de moralité, est une organisation ou, pour mieux dire, une culture, culture aussi délicate et fragile que riche, qui n’a pu réussir, comme elle ne peut s’entretenir, que dans les milieux politiques les mieux ordonnés. Merveilleux travail de l’art, du temps et de la fortune, à ronger, à perforer et à désagréger tout d’abord dans toutes ses parties, pour qui veut se frayer le chemin de l’état primitif. Ça été l’activité du romantisme... Négatif de tout, il a pu se prendre pour l’affirmation suprême, appeler le désordre liberté, la confusion génie, l’instinct énergie. C’est la désorganisation enthousiaste de la nature humaine civilisée. » Le romantisme se définirait donc : une désorganisation de l’âme dans ses facultés, de la société dans ses élémens, de l’art dans ses conditions. Tout l’intérêt du livre que nous étudions réside dans cette définition nouvelle du phénomène romantique.

La valeur d’une définition, c’est-à-dire d’une vue systématique et d’une hypothèse, se mesure au nombre des faits dont elle permet de rendre compte. Le premier est à coup sûr celui qui, parmi les nouveautés qu’apporte le romantisme, est le plus frappant : la libération de l’individu. Dans une littérature qui reflète un état d’âme et un état social ordonnés en conformité avec la raison, l’individu n’existe que par rapport, ou, si l’on veut, « en fonction » de la société. Le résultat immédiat de. la rupture de l’équilibre est que l’individu reprenne son autonomie, se pose en face de la société et s’oppose à elle. Le moi n’a plus conscience d’être haïssable, il ne s’efface plus, il ne se subordonne plus à l’ensemble : il s’en sépare, au contraire, il se distingue, il veut être lui-même et se manifester tel qu’il est. Donc, ce sera désormais l’habitude des écrivains de confier au public les particularités (de leur biographie, les bizarreries de leur tempérament et les étrangetés de leur complexion. Ce ne seront que confessions, confidences, souvenirs, mémoires personnels, histoire de ma vie, tous récits pareillement consacrés à l’exaltation de celui qui les a composés pour y être le montreur