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ouvrent leurs bouches noires sur les rouges des grès. Ces tombes étaient-elles là avant la création du théâtre, ou ont-elles été creusées depuis ? On ne sait.

Mais, dans tous les cas, comme le fond du décor est la montagne d’en face, très rapprochée, couverte de magnifiques sépultures, là encore on retrouve cette perpétuelle obsession de la mort hantant toujours et partout les cerveaux des Nabatéens. C’est à peine si l’on ose parler, tant la voix paraît déplacée dans de pareils endroits. Un bloc détaché des sommets roule de temps en temps vers les bas avec, un bruit de tonnerre. Un oiseau chante. Cependant, malgré le printemps, son chant est sans vie. Jamais un théâtre plus étrange n’a été placé dans un plus étrange endroit. C’est là que la mémoire des spéculateurs ou des marchands heureux était célébrée, c’est là que le souvenir de ceux qui avaient été malheureux en affaires était honni.


Notre campement a été installé sur une étroite plate-bande, un peu plus loin, juste au débouché de la gorge du Sik. Les tentes blanches sont sur les bords de l’Oued, son lit est encombré de cailloux roulés. Autrefois, l’eau, dont un filet arrive jusqu’à nous pendant la nuit, était soigneusement canalisée, et ce lit du torrent dallé de grosses dalles était la voie principale pour accéder à Pétra. Un rideau de lauriers-roses en masque en partie la vue. Du côté opposé au ruisseau, à quelques pas, la montagne rouge, tachetée de salpêtre, recouverte de lichens, s’enlève toute droite pendant plusieurs centaines de pieds. De grandes tombes monumentales, imposantes, aux entablemens creusés dégorges profondes, muettes d’inscriptions, nous servent à abriter une partie de nos provisions. Le terre-à-terre des nécessités de la vie, une sorte de fatalité transforme souvent ainsi les destinations les plus contraires.

Après les campemens au désert, parmi ces solitudes sans limites où le ciel et la terre se confondent à l’extrême horizon, on éprouve comme une sorte d’angoisse dans cet endroit écrasant, grandiosement sauvage, infiniment triste, mais admirable de couleurs. Le moindre bruit, répercuté par l’écho, se gonfle, devient formidable, douloureux à entendre. Les chameaux, si grognons à l’ordinaire, qui ont tant à se dire, sont frappés, eux aussi, par le changement de scène. Ils ne sont plus chez eux et restent muets, ruminant mélancoliquement.