Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sculpteur qui ont été les artisans de ces monumens incomparables ; des escaliers, eux aussi, entaillés dans la roche, menaient aux différens étages, et ainsi, la ville des morts regardait sur tout son pourtour la ville des vivans. Ils devaient avoir une étrange mentalité, les Nabatéens, pour pouvoir supporter cette vue continuelle. Chez nous, les cimetières sont au ras du sol. Quand nous allons y prier, nous nous mettons à genoux sur les pierres tombales. Mais là, ces cimetières surplombent la ville, la dominent, l’écrasent ; ils sont la montagne elle-même. La richesse des colorations des grès, les splendeurs de leurs teintes donnent aussi une impression poignante de surprise douloureuse ; elles sont roses, rouges, orangées, ces chapelles funéraires qui, dans d’autres pays, seraient des palais ou des temples. Il semble que tout l’orgueil de ce peuple se soit reporté sur elles, dans un mélange de piété et d’ostentation ; les rivalités des familles ne s’entendent plus, mais elles sont sculptées sur les grès merveilleux et si, aujourd’hui, un voile de silence s’est étendu sur le passé, heureusement un trésor incomparable nous a été légué par la faiblesse et la vanité des hommes.

Dans les pays du soleil, distances et hauteurs sont très trompeuses ; aussi paraît-il beaucoup plus grand qu’il ne l’est dans la réalité, ce cirque de Pétra. Les sommets des montagnes, par la lente, mais persistante action des agens atmosphériques, se sont partiellement désagrégés ; eux aussi sont taillés par l’effort des siècles. Là, un pic, pointu comme une aiguille et qui fait songer à un obélisque, surplombe un ravin aux pentes abruptes ; plus loin, un dôme couronne un étroit plateau ; l’œuvre de Dieu, dominant l’œuvre des hommes, ajoute encore à la fantasmagorie du spectacle ; les yeux sont égarés, mais le décor est si merveilleux qu’ils ne veulent pas discerner ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. A quoi bon ! l’union est trop incroyablement parfaite. Il ne faut jamais chercher à séparer ceux qui s’aiment ainsi sous le ciel tout bleu.

Le fond de la cuvette où était autrefois la ville elle-même, est bossue, mamelonné, le Ouady Mouça la coupe sensiblement par le milieu en allant de l’est à l’ouest. Ce nom de Ouady Mouça a été donné par les Arabes à l’ensemble de Pétra et à son débouché vers l’Arabah, parce qu’ils prétendent que c’est là que Moïse, frappant le rocher, en fit jaillir l’eau à l’époque de l’exode.

La plus grande partie des monumens, ou mieux, des restes