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le panorama devient fantastique. L’œil plonge sur une mer de pics, de dents, de cols, de vallées, de ravins qui s’en vont, au milieu d’un enchevêtrement indescriptible, se perdre et mourir aux platitudes mornes et désolées du fond de l’Arabah.

Les grès ont les plus merveilleuses colorations : le rouge et le jaune dominent. La puissance de tonalité atteint son maximum à la rencontre de ces deux couleurs car, ensuite, les rouges, de presque noirs, varient jusqu’aux roses les plus exquis, les jaunes vont des jaunes violens aux jaunes clairs soufre-citron et, comme si ce n’était pas assez, des veines blanches, bleutées comme des fumées, tourbillonnent et nuancent encore à l’infini les masses rocheuses. Jamais, peut-être, la palette du Créateur n’a été plus riche, plus féconde qu’en ces endroits.

Nous croisons les restes d’une voie encore visible en plusieurs endroits. Cette voie, dans l’antiquité, devait servir aux caravanes allant vers l’Egypte et la Phénicie. Puis, sur les pentes, des murs de soutènement commencent à apparaître. Les jardins de Pétra étaient là. Autrefois, il y avait de la vigne, des figuiers, des oliviers, des vergers de toutes sortes, des fleurs, de la culture. Maintenant, les lis et l’asphodèle sont seuls à y pousser.

Nous laissons sur notre gauche le Néby-Haroun, montagne sacrée des Musulmans, pour arriver enfin aux premières tombes d’où la vue embrasse le panorama de Pétra. L’impression dépasse tout ce qu’il est possible de s’imaginer. Un cirque ayant de quinze à dix-huit cents mètres du Sud au Nord, de mille à douze cents de l’Est à l’Ouest, est entouré de montagnes de grès multicolores que le ciel bleu baigne d’azur. Sur les flancs de ces montagnes, des tombes grandioses s’étagent, sculptées dans le rocher. Elles sont pressées, elles se touchent aussi loin que la vue peut porter ; il y en a toujours, partout de ces tombes, les étages s’élèvent les uns au-dessus des autres jusque vers les sommets. Ces montagnes ne sont que de vastes nécropoles percées de centaines de portes aujourd’hui ouvertes, marquant de points sombres les surfaces roses, rouges et jaunes. Des centaines de colonnes monumentales se dressent, sveltes, dans la beauté de la matière. Des chapiteaux exquis, des frontons, des urnes achèvent et complètent cette extraordinaire parure.

Rien, dans ce merveilleux décor, n’a été construit. Tout est monolithe. Le maçon n’est intervenu en quoi que ce soit dans l’édification d’aucune d’elles. C’est le tailleur de pierre, c’est le