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un nouveau ministre pour vous remplacer. — Comme il plaira à Votre Majesté ; je suis heureux qu’elle ait trouvé quelqu’un pour me délivrer du pesant fardeau des affaires ; le repos et le bon air me feront du bien. — Et un ministre meilleur que vous, poursuit George III. — Le choix de Votre Majesté ne peut être qu’excellent. — Oui, monsieur Pitt, je vous le dis ; j’aurai un ministre meilleur que vous, et bon général par surcroît. — Je vous en prie. Sire, que Votre Majesté veuille bien me faire connaître ce remarquable personnage, afin que je lui témoigne tous les égards dus à d’aussi grands talens et au choix de Votre Majesté. — Mais le voici, fit le roi en éclatant de rire et montrant Rester au bras de son oncle. Il n’y a pas un homme dans mon royaume qui soit meilleur politique que lady Hester ; j’éprouve un grand plaisir à déclarer aussi qu’il n’existe aucune femme qui fasse autant honneur à son sexe. Et laissez-moi vous le dire, monsieur Pitt, si vous n’avez aucune raison de vous enorgueillir d’être ministre, car il y en a eu avant vous, et d’autres vous suivront, vous êtes en droit de vous montrer fier d’elle, car elle unit tout ce qui peut exister de grand dans l’homme et dans la femme. »

Que les paroles royales aient été ou non embellies, l’esprit d’Hester, renforcé de son crédit, lui conciliait beaucoup d’admirateurs et d’amis éphémères ; mais il lui ménageait encore plus d’ennemis durables, parce que le sarcasme marchait habituellement à son côté, qu’elle ignorait l’art des mots balsamiques et consolateurs, et ne pouvait s’empêcher de flageller les vices et les vicieux, les travers et les gens ridicules, comme si la Providence lui eût dévolu le rôle d’un Swift ou d’un Rivarol. Mépriser le genre humain, blesser l’amour-propre des gens, lancer à point nommé le trait moqueur qui ouvre ou agrandit la plaie, c’est un jeu dangereux qui réussit tant qu’on est craint, mais se retourne tôt ou tard contre son auteur : s’il prouve l’absence de délicatesse, il permet aussi de mettre en doute la noblesse du cœur. Lady Stanhope avait peut-être de la bonté, mais une bonté tellement dissimulée par l’orgueil, qu’on éprouvait quelque peine à la découvrir : or le mépris du genre humain procède d’une vanité extrême bien plus que d’une grande modestie, et ceux-là sont rares qui répètent sincèrement le mot du moraliste : l’homme est un sot animal, si j’en juge par moi ! D’autre part, l’esprit devrait être le serviteur, non le tyran de