Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Etat au département des banquets. » Il accueillait avec la même bienveillance les trois frères d’Hester que celle-ci avait fait enlever hardiment de l’hôtel de lord Stanhope parce que, à son gré, il les élevait trop mal, ou ne les élevait pas du tout. Bientôt elle devint la confidente du premier ministre, un peu son Egérie, obtenant les nominations qu’elle voulait, dépouillant sa correspondance, contrefaisant parfois sa signature au bas de documens officiels, écrivant des lettres en son nom, comme ce président Roze qui « avait la plume » sous Louis XIV, et imitait si bien la signature du souverain qu’on s’y méprenait. « J’ai quantité de bons diplomates, disait plaisamment son oncle, mais aucun d’eux n’entend rien aux choses de la guerre ; j’ai de même beaucoup de bons officiers, pas un ne vaut six pence dans un cabinet. Ah ! si vous étiez un homme, Hester, je vous enverrais sur le continent avec 60 000 soldats en vous donnant carte blanche, et je suis sûr qu’aucun de mes plans n’échouerait, . pas plus que l’on ne verrait un homme sans ses chaussures cirées. » On parlait de la construction d’un nouvel hôpital : « C’est vous qui en aurez la direction. Hester, déclara le premier ministre : il est destiné aux maladies de l’esprit, et nul ne connaît aussi bien que vous le moyen de les guérir. » A ceux qui redoutaient les coups de langue et les indiscrétions de sa nièce, Pitt répondait : « Je lui laisse faire tout ce qui lui plaît, car elle serait bien capable de battre le diable en personne si elle voulait s’en donner la peine. » C’est elle-même qui rapporte ces éloges dans ses Mémoires, et comme elle a autant de franchise que d’amour-propre, on peut la croire dans une certaine mesure : en tout cas, la confiance très réelle de Pitt surexcita singulièrement sa superbe, et l’on se doute bien que plus d’une fois elle se compara aux femmes d’Etat les plus célèbres, une Elisabeth, une duchesse de Marlborough, une princesse des Ursins, et que la comparaison ne tournait pas à l’avantage de celles-ci.

Il paraît aussi qu’elle devint l’amie du duc de Cumberland, du duc d’York, et qu’elle ne pouvait sentir le prince de Galles. Comme celui-ci en avait manifesté quelque surprise : « Parbleu, s’écria Hester, je l’aimerai autant que ses frères quand il leur ressemblera ! « Le Roi recherchait sa conversation. Un jour même, sur la terrasse de Windsor, devant toute la Cour, il aurait interpellé le premier ministre : « Monsieur Pitt, j’ai choisi