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Tu dois évoquer Cassandre de son sommeil ! Tu dois sentir entre tes mains ses cendres revivre ! Tu dois l’avoir présente dans ta lumière intérieure !... Cassandre est en toi et tu es en elle ! Veux-tu ? Comprends-tu ?...


Il ne s’agit pas seulement que les paroles du rôle descendent dans l’âme de la comédienne ; il faut qu’elle soit vraiment fécondée par la pensée créatrice, qu’elle se l’assimile comme sa propre substance, avant de la rendre extérieurement visible, de la faire naître pour la foule.

C’est bien une scène de suggestion qui se déroule. Le poète peut martyriser les poignets de celle qui se donne, elle ne sent pas la douleur. Tous les deux ils sont attentifs aux étincelles qui s’engendrent de leurs forces mêlées : « une même vibration électrique parcourt leurs nerfs merveilleux. »

Voilà la figure et le rôle avec lesquels « la femme » doit apparaître à côté de ce surhomme, idéal entre tous, qu’est l’artiste de génie ; s’il est l’ « animateur, » elle sera la « révélatrice, » l’instrument de l’art nouveau ; la divulgatrice de la grande poésie, celle qui doit incarner, dans sa personne changeante, les futures fictions de beauté, celle dont la voix inoubliable doit apporter aux peuples la parole attendue. L’animateur s’attache à la femme, non plus pour une promesse de volupté, mais pour une promesse de gloire.

Quel supplice une telle conception ne tient-elle pas en réserve pour toutes les Perditas du monde, si, en aimant l’artiste, elles ont glissé à adorer l’homme, si un matin elles s’aperçoivent que c’était l’Enfant de volupté, non pas le Surhomme qu’elles aimaient ! Leur maître qui se croit sorti pour son compte des griffes du désir charnel, se révèle plus que jamais impitoyable ; il ne permet plus aux immolées de laisser percer dans leurs dévouemens, même une ombre d’égoïsme ; ce ne sont plus ni les Perditas, ni même les Surhommes qui comptent : ce sont les œuvres à créer.

S’il arrive que, pour suggestionner l’artiste, lui faciliter l’évocation de la beauté pure, d’autres femmes aient plus de pouvoir que celle qui, un instant, se crut indispensable, l’animateur n’hésitera pas. Sans scrupules, sans reconnaissance, sans tourner la tête, il passera d’une possession à l’autre. Les Perditas n’auront qu’un moyen de demeurer dans la vie de l’aimé : ce sera de faire leur totale soumission, de s’oublier, de confesser leur orgueilleux