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Autant donc abandonner aux hommes vulgaires la procréation de l’être de chair. Pour un d’Annunzio, la destinée est autre : il lui tant engendrer par n’importe quels moyens, aux dépens de n’importe qui, l’œuvre de l’esprit.

L’œuvre de vie, c’est donc l’œuvre d’art.

M. d’Annunzio l’avait pressenti, quand il était encore enfant, sur les bancs du collège de Cicognini di Prato : au sommet de sa carrière de poète, de dramaturge et de romancier, il en est sûr.

C’est dans son roman : le Feu, qu’il a donné la théorie et la pratique d’une certitude qui met définitivement d’accord ses goûts, ses sens, son cœur et son esprit.

Si le surhomme est un poète qui, ainsi que M. d’Annunzio l’annonçait à ses électeurs des Abruzzes, veut « rendre la beauté visible aux foules, » si, d’autre part, la femme ne doit être qu’un instrument merveilleux, matériellement stérile, psychiquement fécond et répercuteur, au service des suggestions que l’inspiration de l’artiste lui impose, il va de soi que la compagne idéale de cet amant idéal sera une femme de théâtre. Mais non pas la « cabotine, » — voire illustre, — qui monte sur les planches, pour recueillir un applaudissement personnel, gagner des cœurs, des sourires, de la renommée et de l’or. L’animateur se doit à lui-même de découvrir, dans l’armée des amantes, une âme si désintéressée, et qui apporte sur la scène un sentiment de détachement de soi tel, qu’un Dieu peut seul l’exiger des saintes. Il convient d’ailleurs qu’à ce détachement l’élue allie toutes les ardeurs amoureuses pour l’amant, tous les dévouemens de la mère pour l’œuvre qu’il s’agit de mettre au jour, et de soutenir.

Le héros du Feu, Effrena, trouve cette créature d’exception dans la tragédienne Foscarina. Du jour où il la connaît, il la baptise du nom de « Perdita, » afin qu’elle sache quels vœux de renoncement l’on prononce quand on entre dans la religion du Surhumain. Effrena a reconnu la sincérité de la vocation de Perdita à ce l’ait : quand il parle, « elle palpite comme si le souffle d’un Dieu l’envahissait ; elle devient une matière ardente et ductile, soumise à toutes les inspirations du poète... »

Et tout de suite, il vérifie les heureux effets de ce pouvoir : « il s’élance impétueusement vers l’actrice, comme s’il voulait la frapper pour en tirer des étincelles. » Il s’écrie :