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fatalement ramené par son individualisme, son amour de la volupté, sa passion de l’exaltation cérébrale. L’animateur pense « qu’il crée véritablement la femme en l’éveillant à la vie supérieure de la passion, » et quoi qu’il en soit, il est juste de dire que « la femme » est pour lui un moyen d’évoquer la beauté surnaturelle, idéale, cette Beauté « en esprit, » qui, plus d’une fois, a répondu à son appel.

Les romans de Gabriele d’Annunzio, grâce aux parfaites traductions de M. Hérelle, — qui, de l’avis général, ajoutent au lyrisme italien de la netteté française, — sont connus de tous. Il aurait donc été vain de les analyser ici. Combien serait-il intéressant, par contre, de se promener, avec « l’animateur » pour guide, à travers toute l’œuvre de M. d’Annunzio romancier, comme Dante parcourut autrefois, au bras de Virgile, les cercles de l’enfer ?

On verrait l’Enfant de volupté s’imaginer que l’on peut considérer les femmes comme les fleurs d’un parterre dont une abeille butine les arômes contradictoires, afin d’en fabriquer un miel égoïste. Mais cette précieuse liqueur fermente sur les lèvres mêmes et dans le cœur de celui qui la bue. Le poète qui s’est trop désaltéré avec les parfums, les essences subtiles de la femme, finit par devenir la proie d’une ivresse où la boisson elle-même se fait la maîtresse du buveur.

Et alors c’est le terrible conflit qui nous a été conté dans le Triomphe de la Mort, entre l’amant qui ne peut plus se passer de la volupté connue, et l’amante qui, ayant essayé de monopoliser, pour son caprice, l’intelligence, la force, toutes les puissances créatrices de l’homme, est punie de mort comme une meurtrière.

On verrait, dans les Vierges aux Rochers, le romancier qui, lui, sort vivant de l’épreuve où se suicide le héros du Triomphe de la Mort, rêver un instant de créer, avec l’une des trois vierges idéales entre lesquelles hésite sa réflexion amoureuse, ce fils, ce surhomme qui, dans le monde futur, réalisera l’œuvre que M. d’Annunzio lui-même, à cette minute, craint de ne jamais pouvoir produire. Mais pour atteindre ce but, il faudrait grouper à la fois, dans une unique étreinte, pour un enfantement unique, ces trois sœurs qui se nomment « la Foi, » « l’Amour, » « la Beauté. » La vie les condamne, hélas ! à exister distinctes les unes des autres, comme des aspects de l’absolu qu’elles réfléchissent.