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la cause. Elles se vengent, elles le font douloureux à son tour. « Tout le mal, disait Machiavel, vient de ce que les hommes ne savent être ni assez bons ni assez méchans. »

Si l’historien de César Borgia diagnostiquait déjà cette faiblesse congénitale chez le plus cruel de ses contemporains, combien sommes-nous devenus plus incapables encore de la vertu sublime et du vice impassible ! M. d’Annunzio et les héros qu’il a créés n’ont pas, plus que d’autres, réussi à dominer leurs nerfs et leurs consciences d’hommes modernes. Ils ont beau accumuler les faussetés, les artifices, ne reculer devant aucun mensonge, devant aucune simulation, ils tombent accablés par la loi même qu’ils ont méconnue ; ils ont des facultés de souffrance qui étaient tout à fait ignorées des grands « condottieri. »

Il ne faudrait pas exagérer pourtant la dose de contrition dont M. d’Annunzio est capable. Elle suffit à le troubler délicieusement, elle n’a pas la valeur qu’il faudrait pour le faire passer à l’acte : le remords qui s’ébauche finit pour lui en art et en volupté.

Dans ces dispositions, les élans de pitié que, après l’étude des romans russes, il a cru avoir vers la « souffrance humaine, » n’ont abouti qu’à de la virtuosité.

La lecture de son Intrus est, à cet égard, particulièrement instructive. Les aspirations de Hermil vers « ... toute la douleur du monde, » vers « ce qui exalte et console » sonnent faux. Malgré un effort pour « s’extérioriser, » le romancier et son protagoniste ont tôt fait de se concentrer à nouveau sur eux-mêmes, dans le désir, l’amour, la jalousie, le crime, en oubli du reste de l’humanité souffrante, en oubli de cette « bonté » qu’ils voudraient professer à l’endroit du « flot humain, » et de cette vertu, avec laquelle ils ne parviennent même pas à nouer des fiançailles de raison.

D’autre part, il est intéressant de comparer les récits campagnards de M. d’Annunzio, avec les Contes que Verga et les Siciliens de la même école ont écrits, avant que l’Enfant de Volupté ne prît lui-même la plume. On constate qu’une morale, au moins historique, se dégage de chacune des œuvres de ces conteurs du Midi : ils contrôlent les heures de l’évolution sociale, ils signalent des ignorances, ils réclament de la lumière pour des gens qui vivent dans l’obscurité.

Rien de pareil chez M. d’Annunzio. Si on lui demandait