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qu’avant d’écrire l’Enfant de volupté, il s’était comme grisé des rimes du Politien, des Chants et des Triomphes de Laurent le Magnifique, des œuvres de Botticelli, du Ghirlandajo, de Verrocchio, du spectacle de Rome, « ... non pas de la Rome des Papes, des Arcs, des Thermes et des Forums, mais de la Rome des Villas, des Fontaines et des Églises... »

Aussi bien, si on lui demandait quels ont été, en dehors de L’ambiance italienne, ses véritables maîtres, il répondrait peut-être volontiers comme le marquis de Molière : « Nous autres, gens de qualité, nous savons tout, sans avoir jamais rien appris... » et il ne se vanterait qu’à moitié. Il semble, en effet, qu’il n’ait eu qu’à se donner la peine de naître pour devenir « un de ces grands miroirs où se reflètent les choses naturelles. » Cette faculté de refléter le monde extérieur en l’italianisant n’a-t-il pas été, toujours, un des apanages des maîtres ès arts et ès lettres de la péninsule ? L’éclectisme est an caractère commun aux grands artistes italiens de tous temps qui s’entendent parfaitement à donner une formule solide et brillante aux matériaux découverts et recueillis par les autres. L’Arioste n’a-t-il pas tiré son Orlando furioso, des « Chansons de Geste ? » Aujourd’hui, ce caractère d’éclectisme éclate dans l’œuvre, si italienne, de M. Gabriele d’Annunzio : il a canalisé vers le champ de son inspiration, pour le féconder, toutes les influences qui, dans ces vingt dernières années, ont dominé le monde de la pensée et des lettres.

En ce qui concerne particulièrement Nietzsche, l’auteur du Triomphe de la Mort n’a pas fait mystère de l’impression qu’il avait éprouvée en lisant le philosophe allemand. Il a écrit en effet, dans la Préface de ce roman qui est dédié à son ami, le peintre abruzzien Michetti :


... Nous tendons l’oreille au magnanime Zarathoustra et, pleins de foi, nous préparons, dans l’art, l’avènement de l’Uebermensch, du surhomme.


La rencontre de Nietzsche est, dans la vie de M. d’Annunzio, un accident, que l’on peut considérer comme heureux ou comme regrettable, mais qui n’a eu sur le développement de sa nature et de son talent qu’une influence, — il convient de répéter le mot, — accidentelle.

La lecture des livres de Nietzsche n’est pas entrée dans les veines du romancier italien comme une piqûre de strychnine, pour exalter les forces d’un organisme héréditairement ou personnellement