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plaisir... L’air qu’elle respirait était toujours embrasé des désirs suscités autour d’elle.


Telle apparaît, encore dans Episcopo et Cie, cette Ginevra qui porte sur elle toutes les séductions positives de la féminilité :


Des hommes se retournèrent deux ou trois fois pour la regarder, et ils avaient dans les yeux le même éclair. Il me semblait que tout le monde convoitait cette femme, jugeait facile de l’obtenir, et avait la même image impure fixée dans le cerveau...


Cette image hante l’écrivain en présence de l’éternel féminin. D’autre part, il a fait dans ses romans, — voire dans sa poésie, — une place trop importante à la physiologie pour ignorer qu’une disposition aussi exclusivement physique aurait pu conduire Aurispa, Hermil, Cantelmo, Effrena, Sperelli, au cabanon, si des excitations intellectuelles intenses n’avaient correspondu chez eux à ces mouvemens irrésistibles du désir. Or, si Dante a pu distinguer chez certaines femmes italiennes cette « intelligente compréhension de l’amour » (intelletto d’amore) qui fait d’elles les compagnes idéales de quelques hommes supérieurs, combien plus encore cette spiritualité apparaît-elle toujours présente, toujours dominante, chez les héros favoris de M. d’Annunzio et dans les convulsions mêmes du plaisir. Ils ont le don d’aimer tout ensemble avec les sens, avec le cœur, avec le rêve, tant que leur passion dure, avec un égoïsme qui, momentanément, les met au-dessus de la loi, de toutes les lois.

Cette ardeur, où toute bassesse se transfigure, revêt dans l’œuvre de M. d’Annunzio un caractère qui est, on ne saurait trop y insister, profondément italien : et c’est l’amour de la beauté.


Dans le tumulte des inclinations contradictoires[1], Sperelli avait perdu toute volonté et toute moralité. La volonté, en abdiquant, avait cédé le sceptre aux instincts, le sens esthétique s’était substitué au sens moral. Mais ce sens esthétique très subtil, très puissant, toujours actif, maintenait dans l’esprit de Sperelli un certain équilibre. Les intellectuels élevés comme lui dans le culte de la Beauté conservent toujours, même dans leurs pires dépravations, une espèce d’ordre. La conception de la Beauté est l’axe de leur être intime : toutes les passions gravitent autour de cet axe-là.


Sans doute, pour atteindre un tel idéal, on est exposé à écraser quelque peu les autres sur son chemin : « ... Détruire pour posséder,

  1. Voyez l’Enfant de Volupté.