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il avait, sous certains rapports, l’esprit plus pratique que Fénelon ; mais il parle souvent de la nécessité de réprimer le luxe, « qui est extrême dans toutes les conditions, » de même qu’il se proposait de ramener et de maintenir une stricte économie dans les dépenses de la Cour. Il est certain que, sous son règne, la vie à Versailles, à Fontainebleau, à Marly, — si les Marly n’avaient pas été supprimés, — et, par un contre-coup inévitable, à Paris même, aurait été fort différente de ce qu’elle avait été sous la jeunesse et même de ce qu’elle avait continué d’être sous la vieillesse de Louis XIV. Peut-être même serait-elle devenue un peu morose. Peu de fêtes, car il ne voulait pas encourager les dépenses inutiles. Plus de comédies, car il se faisait depuis longtemps scrupule d’y assister. Il est bien possible que Paris même se fût vu, en partie, privé du moins par lui de ce divertissement qui était déjà le plaisir favori de la grande ville. Mme de Maintenon, qui avait au sujet du théâtre les mêmes scrupules que le Duc de Bourgogne, lui demandait un jour si, quand il serait roi, il défendrait l’Opéra, la Comédie et les autres spectacles, ou s’il les tolérerait. « Bien des gens, répondit-il, prétendent que, s’il n’y en avoit point, il y auroit encore, à Paris, de plus grands désordres ! J’examinerois, je pèserois le pour et le contre, et je m’en tiendrois au parti qui auroit le moins d’inconvéniens, » et c’eût été sans doute, ajoute le bon Proyart, « celui de laisser subsister le théâtre, en le réformant sur le modèle des pièces composées pour Saint-Cyr[1]. » Paris condamné à perpétuité à Esther, à Athalie, peut-être même à Jonathas, et autres pièces de Duché, c’eût été là un régime qu’il aurait été difficile de lui faire accepter, et le Duc de Bourgogne y aurait trouvé plus de difficulté que ne croyait Proyart.

L’influence de Fénelon sur le Duc de Bourgogne se fait encore sentir dans un autre ordre d’idées. Fénelon détestait la guerre, au point de reprocher à Louis XIV celles qui avaient assuré ses plus légitimes conquêtes et qui ont fait la France moderne. Dans ses Dialogues, dans Télémaque, dans les divers mémoires qu’il rédigeait, on sent éclater cette aversion. Il avait fini par la communiquer au Duc de Bourgogne que nous avons vu, plus jeune de quelques années, si ardent à servir, si fier de commander. Mais les malheurs dont il avait été témoin, les

  1. Proyart, t. II, p. 178.