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finances publiques. C’était cependant avec une sorte de répugnance qu’il s’occupait des matières financières. Bien qu’il eût le droit d’assister aux séances de tous les Conseils, il n’avait jamais voulu assister à celles du Conseil des Finances, présidé cependant par Beauvilliers, et il fallut un ordre formel du Roi pour qu’il y vînt siéger après la mort de Monseigneur. Mais, depuis longtemps, il s’instruisait de ces matières. Nous voyons que, dans le questionnaire adressé par lui aux intendans, il sollicite de leur part les informations les plus minutieuses sur la façon dont les différens impôts, taille, capitation, gabelle, et bien d’autres encore, étaient établis et perçus. Leurs réponses ne lui avaient pas laissé ignorer quels effroyables abus s’étaient établis peu à peu dans l’assiette et le mode de recouvrement des impôts. Cette enquête avait fait naître chez lui des sentimens de violente indignation contre tous ceux qui étaient chargés de ce service, de quelque nom qu’ils s’appelassent : fermiers généraux, traitans, financiers, partisans, maltôtiers, qu’il voyait seuls s’enrichir au milieu de la ruine publique et qu’il accusait de se rendre coupables d’exactions dans la levée des impôts, dont l’impopularité retombait sur le Roi. L’animadversion qu’il ressentait contre eux éclata en public dans une circonstance curieuse et qui vaut la peine d’être rapportée.

C’était en 1710. À bout de ressources pour soutenir la guerre et faire face à la dépense des armées, Desmarets, contrôleur général, avait proposé à Louis XIV de superposer à tous les impôts déjà existans un impôt en exécution duquel aurait été prélevé, au profit de l’État, le dixième des revenus de toute espèce, et à quelque classe qu’appartinssent les bénéficiaires de ces revenus. Louis XIV, après quelques hésitations de conscience apaisées par une consultation de la Sorbonne que lui procura le Père Le Tellier, avait adopté ce projet et l’avait fait sanctionner, sans le laisser discuter, par le Conseil des Finances. On sait avec quelle violence Saint-Simon s’élève contre cette première application de l’impôt sur le revenu en France, en quels termes il décrit le désespoir d’une foule de gens « forcés à révéler eux-mêmes le secret de leur famille, la turpitude d’un si grand nombre, la combustion des familles par ces cruelles manifestations et cette lampe portée sur leurs parties les plus honteuses, » et comment il explique aussi que l’impôt fut loin de produire ce qu’on en attendait, et « que si tout homme, sans aucun excepté, se vit