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M. Mesnard « qu’une conclusion pratique manque presque toujours aux maximes, aux principes cités par Proyart[1]. » Ce qui nous a été conservé du Duc de Bourgogne présente bien plutôt le caractère de considérations générales, religieuses ou politiques, que de projets arrêtés. Quelle sanction le Duc de Bourgogne aurait-il donnée à ces considérations dans la pratique ? Sur quels points ses résolutions étaient-elles irrévocablement prises ? Là où il y avait désaccord entre ses deux mystérieux conseillers, Saint-Simon et Fénelon, de quel côté penchait-il ? C’est ce qu’il serait téméraire de prétendre dire avec certitude. Aussi, sans nous hasarder à des assertions sans fondement, essayerons-nous plutôt de montrer comment, au point de vue moral, il comprenait son métier de roi, et à quelles conséquences sa conception du rôle et des devoirs de la royauté l’aurait conduit, sans entrer, sur les questions secondaires d’administration, dans des détails que Proyart nous fournit avec abondance, tandis que, soit prudence, soit défaut d’information, il demeure muet sur des questions plus hautes.

Si nous avons bien fait connaître et comprendre le caractère du Duc de Bourgogne, on ne s’étonnera pas que nous disions que le trait dominant chez lui était la conscience. Fénelon connaissait bien son royal élève lorsqu’il rédigeait, à son intention, l’Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, car la conscience était le principal levier par lequel on pouvait agir sur cette âme. Il était consciencieux jusqu’au scrupule, et l’exagération d’une très noble vertu lui avait souvent donné des apparences de faiblesse et d’indécision. Mais à mesure qu’il avançait en âge, il prenait de la fermeté. Les petitesses disparaissaient et la grande idée du devoir, dominant toutes les autres, devenait la maîtresse de sa vie. Loin que la perspective du pouvoir immense et presque sans bornes dont il serait prochainement revêtu, causât chez lui, comme il eût été naturel chez un être jeune et tenu longtemps dans la dépendance, une sorte d’enivrement, il envisageait au contraire cette perspective avec des sentimens d’appréhension et presque d’effroi. La pensée des soucis, des devoirs, des responsabilités de la royauté l’entretenaient dans un état de tremblement ; il était hanté de cette préoccupation au point que, de temps à autre, il ne pouvait retenir l’expression de

  1. Les projets de gouvernement du duc de Bourgogne. Introduction, p. LXXIII.