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s’y abandonner point, tant il paraissait probable que tous deux se retrouveraient bientôt dans les conseils du Duc de Bourgogne. Aussi, malgré les scrupules éprouvés des deux parts, la réunion eut-elle lieu à Chaulnes, en octobre. Fénelon y passa un mois. Pour mettre de l’ordre dans leurs délibérations, il avait par avance donné ses instructions au duc de Chevreuse, et lui avait prescrit de préparer par « des espèces de tables » toutes les questions dont ils auraient à traiter ensemble. Ce fut sur ces tables que s’ouvrit leur délibération. De là le nom de Tables de Chaulnes donné souvent par les biographes de Fénelon aux projets que les deux amis arrêtèrent ensemble et qui figurent dans ses œuvres sous ce titre : Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse pour être proposés au Duc de Bourgogne[1]. Analyser ces plans nous conduirait trop loin, car il n’y a guère de matière qui n’y soit traitée, depuis la manière d’assurer la paix qui doit être achetée « sans mesure, » Arras et Cambrai étant « très chers à la France, » jusqu’aux questions les plus diverses concernant l’administration intérieure du royaume, et les rapports de l’Église avec l’Etat. Ces plans de gouvernement tiennent en quelques pages, mais dans ces pages sont condensées, sous une forme brève qui tranche les questions sans les discuter, des matières bien autrement sérieuses que celles traitées par Saint-Simon. Les Tables de Chaulnes sont à cent coudées au-dessus des Projets de gouvernement, et montrent toute la distance qu’il y avait entre les deux esprits, l’un qui ne voyait rien de plus pressé que de rétablir les ducs et pairs dans leur dignité, et de cette réforme faisait découler toutes les autres, l’autre à qui aucune spéculation n’était étrangère, et qui avait des vues arrêtées sur les matières les plus diverses, même sur celles qui semblaient le plus éloignées de sa vocation. Dans les Tables de Chaulnes, les propositions hardies, mais justes, alternent avec les chimères : d’un côté, rétablissement des États généraux et des États provinciaux, suppression de la gabelle, des grosses fermes, de la capitation, de la dîme royale, et leur remplacement par des sommes que les États lèveraient pour payer leur part de la somme totale des charges de l’État ; retranchement de toutes les dépenses de cour peu nécessaires ; cessation des doubles emplois ; obligation de résidence ; liberté du commerce, la France ouverte aux étrangers

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Edition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 182 et suiv.