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Roi[1]. Et voici que tout d’un coup s’ouvrait devant lui un avenir nouveau et prochain. Il pouvait prévoir le jour où il serait appelé à faire partie de ces Conseils, peut-être à y exercer une autorité prépondérante et à y jouer, sous un élève chéri, dont en réalité il redeviendrait le maître, le rôle d’un Richelieu sous Louis XIII, ou d’un Mazarin sous Louis XIV. Encore quelques années, et il pourrait voir de ses yeux son royal disciple mettre en pratique les avis qu’il lui avait fait parvenir en chargeant Beauvilliers de lui communiquer l’Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, et lui-même pourrait être appelé à transformer en procédés de gouvernement les principes qu’il avait développés dans ses conversations avec le roi d’Angleterre, pendant les deux séjours que celui-ci lit à Cambrai en 1709 et 1710, et qui, recueillis par le chevalier de Ramsay, ont constitué la matière de l’Essai philosophique sur le gouvernement civil[2]. Comment d’aussi brillantes perspectives n’auraient-elles pas enflammé cette imagination ardente, et ne lui auraient-elles pas inspiré la pensée de se mieux rendre compte à lui-même des applications que comportaient ses principes, en essayant de les préciser. La mort pouvait, d’un jour à l’autre, faire disparaître le vieux Roi. Il ne fallait pas risquer d’être pris au dépourvu, et d’arriver au pouvoir sans plans arrêtés et concertés d’avance avec ceux qui seraient vraisemblablement ses collaborateurs.

Au premier rang de ceux-ci était le duc de Chevreuse, son correspondant habituel, avec lequel, tantôt par l’ordinaire, tantôt par une voie secrète et mal connue, il échangeait de nombreuses lettres ; c’est par lui qu’il avait coutume, au cours des années précédentes, de faire parvenir à Versailles ses Mémoires sur l’état des affaires, et ses objurgations en faveur de la paix. Chevreuse n’était pas seulement un chrétien fervent, versé dans les matières théologiques à un degré surprenant pour un laïque, et dissertant avec aisance sur la doctrine des deux délectations ou sur la différence de l’acte premier et de l’acte second. C’était aussi un réformateur et un faiseur de projets, un peu songe-creux. Dans sa solitude de Dampierre, dont il ne bougeait guère, il passait son temps à manier et remanier des plans de réforme qu’il gardait par devers lui. Chacun de leur côté, Fénelon à Cambrai,

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1906.
  2. Cet Essai se trouve au t. VII des Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, p. 103 à 148.