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Quelles recherches ! Quels fruits ! Quelle pureté d’objet ! Oserai-je le dire : quel reflet de la divinité dans cette âme candide, simple, forte, qui, autant qu’il leur est donné ici-bas, en avoit conservé l’image ! On y sentoit briller les traits d’une éducation également laborieuse et industrieuse, également savante, sage, chrétienne, et les réflexions d’un disciple lumineux, qui était né pour le commandement. »

Né pour le commandement : ces mots sont à relever, car ils ne répondent pas à l’idée que nous avons pu nous faire jusqu’à présent du Duc de Bourgogne, qui nous est apparu plutôt disciple que chef. Saint-Simon reconnaît loyalement, dans ces mêmes pages de ses Mémoires, que la confiance mise en lui par le Duc de Bourgogne n’allait pas jusqu’à lui faire adopter tous ses points de vue. « Le discernement de ce prince n’étoit point asservi, dit-il, mais, comme l’abeille, il recueilloit la plus parfaite substance des plus belles et des meilleures fleurs. Il tâchoit à connoître les hommes, à tirer d’eux les instructions et les lumières qu’il pouvoit espérer. Il conféroit quelquefois, mais rarement avec quelques-uns, mais à la passade, sur des matières particulières, plus rarement en secret sur des éclaircissemens qu’il jugeoit nécessaires, mais sans retour et sans habitude... J’étois le seul qui eusse ses derrières libres et fréquens, soit de sa part, soit de la mienne. Ici il découvroit son âme et pour le présent et pour l’avenir, avec confiance et toutefois avec sagesse, avec retenue, avec discrétion. Il se laissoit aller sur les plans qu’il croyoit nécessaires ; il se livroit sur les choses générales, il se retenoit sur les particulières, et plus encore sur les particuliers ; mais comme il vouloit, sur cela même, tirer de moi tout ce qui pouvoit lui servir, je lui donnois adroitement lieu à des échappées, et souvent avec succès, par la confiance qu’il avoit prise en moi de plus en plus[1]. »

A le bien entendre, ce passage nous livre le secret des relations du Duc de Bourgogne avec Saint-Simon. Pour nous servir d’une locution familière, il le faisait causer ; il tirait de lui des renseignemens, des aperçus, des indications, mais ne s’y asservissait point. Il tombait d’accord sur les idées générales, mais se réservait sur les particulières, et cet aveu vient, après coup, enlever toute valeur et toute autorité au titre que Saint-Simon

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 104-105.