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comme celle du sacre, — car c’était par la place occupée au sacre des rois que se déterminait le rang des princes, — lui paraissait odieuse et presque sacrilège chez les légitimés ; mais, dans tout cela, il avait cependant « de fréquens retours de respect, d’attendrissement même et de compassion pour le Roi » qui firent admirer à Saint-Simon « la juste alliance du bon fils et du bon prince dans ce Dauphin si éclairé. » Sur la fin, se concentrant sur lui-même : « C’est un grand malheur, dit-il, d’avoir de ces sortes d’enfans. Jusqu’ici, Dieu m’a fait la grâce d’être éloigné de cette route ; il ne faut pas s’en élever. Je ne sais pas ce qui m’arrivera dans la suite. Je puis tomber dans toutes sortes de désordres ; je prie Dieu de m’en préserver, mais je crois que, si j’avois des bâtards, je me garderois bien de les élever de la sorte et même de les reconnoître. Mais c’est un sentiment que j’ai à présent par la grâce que Dieu me fait : comme on n’est pas sûr de le mériter et de l’avoir toujours, il faut au moins se brider là-dessus de telle sorte qu’on ne puisse plus tomber dans ces inconvéniens[1]. »

A l’élévation en même temps qu’à l’humilité de ce langage on reconnaîtra bien le Duc de Bourgogne, tel que nous nous sommes efforcé de le peindre. Nul doute que, sur cette question des bâtards, il ne fût d’accord avec Saint-Simon, et que son règne n’eût mis fin à la scandaleuse situation que Louis XIV leur avait faite. Il est possible qu’il se trouvât également d’accord avec lui sur d’autres points, entre autres ceux traités par Saint-Simon dans la série de Mémoires auxquels il a donné pour titre : Brouillons des projets sur lesquels il faudroit travailler petit à petit, sans relâche et sans jamais tomber dans le piège de se laisser rebuter par rien. Mais ces projets, auxquels Saint-Simon travaillait en effet sans relâche, portaient surtout sur ces questions d’étiquette aux moindres minuties desquelles il attachait une importance vraiment puérile. D’autres et de plus importantes matières (quoiqu’il n’en fût pas de plus importantes aux yeux de Saint-Simon) étaient traitées dans ces conversations que dirigeait le Duc de Bourgogne, où il effleurait de nombreux sujets, et dont, après bien des années écoulées, Saint-Simon ne pouvait rappeler le souvenir sans émotion : « Quel amour du bien public ! s’écrie-t-il. Quel dépouillement de soi-même !

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857 t. IX, p. 374.