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le respect dont le Duc de Bourgogne était pénétré vis-à-vis de son grand-père pour que, une année auparavant, du vivant de Monseigneur, aucune protestation n’eût été élevée par lui contre le rang que le Roi avait décidé d’accorder aux enfans du duc du Maine. Saint-Simon a peint admirablement la scène qui se passa dans la chambre du Roi lorsqu’il sollicita l’assentiment de Monseigneur et du Duc de Bourgogne à la décision par laquelle il avait fixé ce rang. « Pour la première fois de sa vie, dit-il, ce monarque si fier, ce père si sévère et si maître, s’humiliant devant son fils et son petit-fils, les pria d’agréer le rang qu’il donnoit aux enfans du duc du Maine, de donner cela à la tendresse qu’il se flattoit qu’ils avoient pour lui, invoquant son âge, sa mort prochaine, et témoignant l’espoir qu’après lui ils les voudroient bien protéger par amitié pour sa mémoire. » Et il représente d’autre part les deux princes « un peu attendris, les yeux fichés à terre, se serrant l’un contre l’autre, immobiles d’étonnement de la chose et des discours, d’abord ne proférant pas une unique parole, puis bredouillant ce qu’ils purent, mais sans rien promettre[1]. » Si, pour ne point peiner et blesser son grand-père, le Duc de Bourgogne n’avait point fait d’éclat, jamais cependant, au fond de son cœur, il n’avait accepté cette égalité de rang entre légitimes et légitimés. Saint-Simon, en soulevant la question, était donc assuré de trouver un écho. Il y fallait cependant des précautions, car le Duc de Bourgogne ne l’aurait pas laissé manquer de respect au Roi. L’habile homme sut les prendre.

« C’étoit, dit-il, une corde que je voulois lui faire toucher le premier, pour sentir, au son qu’il donneroit, le ton que je devois prendre à cet égard. » La corde ayant vibré, Saint-Simon s’enhardit, et après avoir, avec beaucoup d’adresse, pris le Dauphin par le point où il était le plus sensible, c’est-à-dire par « le danger de l’exemple et de la tentation nouvelle, ajoutée à celle de la chose même, qui précipiteroit toutes les femmes entre les bras des rois, » il l’amena peu à peu à s’expliquer lui-même sur cette matière délicate. Le Dauphin s’échauffa. Il insista sur la différence entre deux extractions, « dont l’une constituoit une habilité innée à la couronne, » et dont l’autre n’était due « qu’à un crime séducteur et scandaleux qui porte avec soi son infamie. » L’égalité entre ces deux extractions, surtout à une cérémonie religieuse

  1. Saint-Simon Édition Boislisie, t. XIX, p, 94.