Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/801

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la constitution et l’administration intérieure du royaume au point de vue de la guerre, de la marine, de la justice, des impôts, des relations avec l’Église et avec Rome, mais les articles de protocole et d’étiquette les plus minutieux y sont réglés, depuis les sièges des ministres et les armoiries des évêques jusqu’à la forme du bonnet des présidens à mortier. Si fréquentes qu’aient pu être les conversations de Saint-Simon avec le Duc de Bourgogne auxquelles nous allons revenir, — et comme elles étaient mystérieuses, le nombre en a dû être forcément limité, — il n’est pas possible d’admettre que tant de questions et de si diverses aient été examinées et décidées entre eux et par eux, dans l’espace de neuf mois qui s’écoula entre la mort de Monseigneur et celle du Duc de Bourgogne. Lors donc que Saint-Simon se sert, presque à chaque page, de ces formules : « Le Dauphin voulait... le Dauphin a jugé à propos... le Dauphin s’est résolu..., » il s’en fait manifestement accroire, et cette prétention ne saurait être acceptée. Que s’est-il proposé en donnant à son œuvre personnelle ce titre ambitieux ? Voici ce qu’on peut imaginer.

A l’heure où écrivait Saint-Simon, la décrépitude croissante du Roi devenait visible à tous les yeux. Le règne touchait à sa fin : c’était une question d’années, ou plutôt de mois, et peut-être de jours. Un nouveau règne allait commencer, et celui qui présiderait à ses débuts, ce ne serait pas le jeune roi, un enfant, ce serait le Duc d’Orléans, c’est-à-dire de tous les princes de la maison royale, le seul avec lequel Saint-Simon entretînt des relations intimes, car ni son austérité, ni ses principes religieux ne l’empêchaient de vivre dans une étroite familiarité avec un prince dont les mœurs et l’irréligion avaient plus d’une fois scandalisé la Cour. Saint-Simon avait lieu de s’attendre, et ce fut ce qui arriva en effet, à faire partie des conseils du Régent. S’il désirait avec ardeur sortir de son obscurité, ce n’était pas, rendons-lui cette justice, par un sentiment d’ambition vulgaire ; c’est que, possédé de la manie réformatrice, il rêvait d’introduire de profonds changemens, pour employer une de ses expressions favorites, dans la mécanique du gouvernement. Ses projets de réforme étaient tout prêts ; mais quelle meilleure manière de les faire adopter et par le Régent et par l’opinion publique, que de les couvrir de l’autorité d’un prince dont la mort prématurée avait excité de si universels regrets et chez qui on voyait par avance le réparateur de tous les maux dont