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les principes de 1789 et 1792. Le socialisme égalitaire est maintenant entré dans son sang comme l’alcool dans les veines d’un alcoolique ou la morphine dans les veines d’un morphinomane. Vous-même, vous aviez montré avant 1871 que l’esprit antichrétien avait été mortel à la première République ; cette leçon, si bien donnée par vous, si fortement appuyée par des exemples si nombreux et si décisifs, a-t-elle persuadé quelqu’un dans le parti démocratique ?

Nos livres servent à l’histoire, à la science ; mais notre influence sur la pratique est infiniment petite. Nous sommes payés par le plaisir d’avoir cherché la vérité pour elle-même, de l’avoir dite nettement, avec preuves à l’appui, sans arrière-pensée. Nous sommes payés aussi par l’estime des hommes honorables et compétens qui peuvent vérifier directement nos assertions. C’est vous dire, monsieur, combien votre appréciation m’est précieuse.


À Son Altesse Impériale la Princesse Mathilde[1].
Paris, 23, rue Cassette, 19 février 1887.
Princesse,

Je suis très affligé de vous avoir choquée. Daignez relire mon portrait de Mme Lætitia ; je croyais n’y avoir mis qu’une impression

  1. La princesse Mathilde-Lætitia-Wilhelmine Bonaparte, fille du roi .Jérôme, née en 1820, décédée le 8 janvier 1904. La princesse Mathilde avait écrit à M. H. Taine la lettre suivante, à la date du 17 février 1887, au surlendemain de la publication du premier article sur Napoléon Bonaparte dans la Revue des Deux Mondes du 15 février :
    « Monsieur, j’ai lu, dans votre article intitulé Napoléon Bonaparte, que ma grand’mère était parcimonieuse, et quelle était sans souci de la propreté. Permettez-moi de relever cette double erreur.
    « Elle était généreuse. Ses enfans l’ont trouvée pour leur venir en aide au jour du malheur. Les événemens ont assez prouvé qu’elle avait eu raison.
    « Quant à sa tenue, bien que très simple, elle était extrêmement soignée. Aveugle, ses petites mains blanches filaient pour occuper ses heures et pour la laisser s’absorber dans ses souvenirs.
    « Elle ne vivait que dans le passé. Il n’y a plus aujourd’hui que mon frère et moi qui l’ayons connue.
    « Je puis affirmer que vous avez été induit en erreur et que seuls les pamphlétaires que vous citez ont pu la calomnier ainsi.
    « Elle n’a jamais fait parler d’elle, s’est effacée jusqu’à l’oubli ; mais cela n’a pas suffi pour garantir sa mémoire.
    « Son titre de gloire était d’être la mère de l’Empereur Napoléon Ier qu’elle aimait avec culte et admiration. C’est là aussi son crime.
    « Pourquoi faut-il que la haine puisse aujourd’hui défigurer ainsi une si grande mémoire que celle de l’Empereur et chercher à atteindre le fils jusque dans sa mère ?
    « Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de tous mes sentimens distingués.
    « Mathilde. »