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À Monsieur Jules Sauzay[1].


Menthon-Saint-Bernard, 25 juin 1883.

C’est moi, monsieur, qui suis votre obligé ; la preuve en est dans le grand nombre des faits et textes que je vous ai empruntés. Quant aux références précises que vous voulez bien m’offrir, je n’en avais pas besoin ; votre ouvrage abonde en marques intrinsèques de sincérité historique et de conscience scrupuleuse. D’ailleurs, par d’autres documens, j’avais trouvé aux Archives la confirmation de tout ce que vous dites, notamment les rapports de l’intendant et des commandans militaires en 1789, et, plus tard, de l’an III à l’an VIII, une série de rapports des administrations locales, des commissaires cantonaux. Je me rappelle entre autres cette phrase d’un commissaire en l’an VI ou VII : « Les gens de ce pays consentiraient à payer le double d’impôts, pourvu qu’on leur laissât leur culte et les prêtres qu’ils préfèrent. »

Plus j’étudie en histoire, plus j’attribue de prix aux textes de première main, abondans, caractéristiques et bien classés. À cet égard, votre grand ouvrage est un monument, et certainement tous les historiens futurs de la période révolutionnaire devront y puiser.

J’essaie de faire dans un cinquième volume ce que vous me demandez[2]. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir le bien faire. Il faudrait être plus instruit, plus compétent, avoir touché de près, par la pratique, par l’exercice de fonctions administratives, les hommes et les choses. J’essaie depuis plusieurs années de me mettre au courant. D’autre part, ma santé faiblit, et l’entreprise est bien vaste, la tâche bien lourde pour un homme de mon âge. Enfin, à quoi bon ? Supposez que je puisse indiquer le remède, ou plutôt le régime salutaire, le malade refusera de s’y soumettre, il se croit médecin, il a son dogme en fait d’hygiène,

  1. Auteur de l’Histoire de la Persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, 10 vol., Besançon, 1867-1873. — Cette lettre a été citée par M. Félicien Pascal dans un article de la Revue Bleue du 18 juin 1904 intitulé : l’Authenticité de Taine.
  2. « Après avoir diagnostiqué le mal, achevez l’œuvre du médecin en indiquant le remède avec l’autorité qui vous appartient. Aidez à guérir notre grand et cher malade. Il me paraît avoir besoin de changer de constitution intime bien plus que de constitution politique… » (Jules Sauzay à H. Taine, 21 juin 1885.)