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À Monsieur Émile Boutmy[1].


Menthon-Saint-Bernard, 31 octobre 1816.

Mon cher ami, j’espère que le bail[2] est signé et que vous n’avez pas à subir une prétention de la dernière heure.

J’apprends avec beaucoup de plaisir que la rentrée promet. Vous ne me dites pas si votre séjour à Lyon, vos entrevues avec de gros financiers vous ont laissé des espérances de fondations ou autres bienfaits.

Nous partirons d’ici vers le 9 novembre ; je suis rappelé à Paris par des affaires de famille. Tous les miens vont bien.

J’ai fini hier ce que je pouvais espérer d’achever avant de partir. Des deux parties de l’œuvre de la Constituante, la première, toute destructive, est rédigée ; j’écrirai la seconde, l’œuvre de construction, cet hiver, et, si je puis, le livre suivant sur les Effets de la Constitution, à savoir l’anarchie organisée permanente et croissante. Il me restera deux livres pour l’été prochain : les Nouveaux Pouvoirs, c’est-à-dire le petit groupe de fanatiques violens qui, dans chaque bourg, ville, et à Paris, prennent de force le pouvoir et l’exercent contre la loi ou en vertu de la loi ; ici, le mécanisme des élections et de l’administration est curieux ; vous verrez entre autres comment a été nommée la Législative, elle n’est qu’un club qu’a remplacé un autre club plus violent, la Convention, lequel a lui-même été dominé par un autre club plus violent, la Commune. En vertu du système inventé par la Constituante, il se fait une sélection de fous furieux et effrayés. Dernier livre : le Triomphe du Parti et de la Doctrine, à savoir les théories et la pratique de la Convention, à Paris et en province ; j’ai tous les documens, moins ce dernier ; j’irai aux Archives cet hiver pour étudier les missions révolutionnaires et thermidoriennes.

J’espère en être quitte des questions de droit ou théoriques ; il me semble que j’y ai vu clair ; il fallait les mettre au début, dans le passage de l’ancien régime au nouveau. Après cela, il ne

  1. Émile Boutmy, membre de l’Institut, fondateur de l’Église libre des Sciences politiques, né en 1836, mort à Paris en 1906. M. Boutmy fut pendant plus de quarante ans le plus intime ami de M. Taine.
  2. Relatif à l’installation de l’Église libre des Sciences politiques dans le local du 15 de la rue des Saints-Pères.