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L’aïeul les aperçoit et s’arrête. L’œil fixe,
Il contemplé, attentif, le sanglotant essor,
La troupe aventureuse au langage prolixe,
Cinglant vers des horizons d’or.

Un instant sa pensée entraînée à la suite
Des pèlerins lancés au firmament bruni,
Dans le vertige altier d’une lointaine fuite,
S’enivre du même infini.

Il oublie un instant les tâches coutumières,
Le foyer primitif, les sites familiers,
Et songe à ce séjour des magiques lumières,
Où les oiseaux vont par milliers.

Puis, las bientôt des lieux où son esprit voyage,
Il reprend son labeur sous les reflets mourans.
Tandis qu’au Sud obscur s’efface le sillage
Des mystérieux émigrans.

Sa vision rapide à peine disparue.
Il sent, lui qui jamais ne s’est dépaysé,
Que rien ne vaut le sol ouvert par sa charrue
Et par ses mains fertilisé.

Il se dit que ce cadre étroit, témoin austère
De ses luttes, de ses douleurs, de ses travaux,
Est le seul où sa soif d’aimer se désaltère
A des courans toujours nouveaux.

Et, fièrement pareil aux élus de sa race.
Tel qu’un arbre en son coin de glèbe enraciné,
Du regard qu’à sa mère on réserve, il embrasse
La terre où son vieux cœur est né.


LEONCE DEPONT.