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Le bleu me possède. — Le blanc prétend être le premier. Et si j’embrasse l’horizon, — le rouge exhale des parfums pour m’attirer. — Si je tourne vers le violet, — le vert me fait tourner vers lui. — Si je préfère le jaune, — le gris pleure sur moi.


Dans les lambas, étoffe nationale, l’art de la nuance atteint à une remarquable virtuosité. La somptuosité des tons surtout dans ceux du Palais de la Reine, semble exprimer la prédominance de l’esthétique indienne. Les couleurs, — amarante, bougainvillea, safran, vieux rose, vieux rouge, violet, — et la façon dont elles sont accouplées pour des contrastes, d’abord étranges aux yeux des Européens habitués à n’harmoniser que les nuances et non les couleurs, dénotent aussi fortement le goût indien. Mais il faut observer que parmi ces lambas magnifiques, dont quelques-uns ont été recueillis au Musée de Tananarive, il en est d’assez récens où sont directement insérés, entre des bandes tissées à Madagascar, des morceaux d’étoffes précieuses importées des Bombays. Les plus anciens au contraire ont été tissés eatièrement dans la Grande-Ile et en portent comme le cachet d’atmosphère à la fois vibrante et sourde. On a noté qu’il s’y décelait peu d’imagination, mais un goût de la distinction la plus rare, comme il s’en discerna chez les vieux Andrianes. Ces étoffes qui sont « comme des cachemires non de laine, mais de soie, » ont l’opulence de draperies à reflets métalliques, le charme passé de vieux joyaux, des tons laiteux d’opale sertis dans un brochage de tapis oriental, la richesse polychromique de mosaïques avec la fantaisie guillochée d’ornementations florales. L’harmonie est obtenue non par l’atténuation des teintes, mais par leur juxtaposition, ce qui est commun aux arts des tropiques où, dans une atmosphère chaude et comme cuivrée, c’est le miroitement des tons éclatans qui opère la fusion même dans les contrastes les plus violens. Surtout, dans les lambas de Madagascar, la juxtaposition se fait en un dessin géométrique de lignes longuement tendues, et c’est encore cela qui adoucit décorativement l’harmonie et lui prête en quelque sorte du style, la rend particulière et originalement malgache, par une combinaison qui s’est composée lentement de colorations importées par les Malais et de dessins importés pas les Arabes des immigrations différentes. Pour l’impression d’ensemble, tous les tons se fondent comme les couleurs franches dans le prisme : ce sont de vraies symphonies d’arc-en-ciel ; ainsi s’explique sans doute que leur