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fait rentrer dans la zone d’expansion des Indes ; de cette mer presque fermée, il a voulu exclure toute concurrence pour en faire un lac anglais. Les steamers de Bombay et de Kurrachee desservent les ports persans de Bender-Abbas et de Bouchéïr pour atteindre à Bassora l’entrée de la Mésopotamie. La marine anglaise accapare la navigation du Karoun, une des portes d’entrée en Perse.

Le touriste qui remonte le Chatt-el-Arab et le Tigre ne trouve de confort que sous le pavillon britannique. Il a soin d’emporter dans sa valise un habit noir pour le séjour à Bagdad, car la cité des Khalifes a pris les mœurs anglaises. Sur la côte d’El-Hasa, les îles Bahreïn servent d’entrepôt aux importations de l’Angleterre ; l’émir de Koweït est son vassal et son agent. Avec son appui, il s’est fait céder par la Porte les seuls bons mouillages de ces régions. Il détient pour le compte de sa suzeraine tous les débouchés possibles du chemin de fer de Bagdad, de sorte que la poussée allemande risque fort de n’aboutir qu’à un cul-de-sac.

Mais il ne suffit pas à l’Angleterre de devancer le Drang à son embouchure ; elle lui prépare, sur son parcours même, un formidable obstacle. C’est l’Arabie, tout entière soulevée dans une crise de particularisme contre la domination ottomane, l’Arabie où le nationalisme se réveille[1], où l’or anglais suscite révoltes sur révoltes, où l’émir Ibn-Séoud, héritier des Wahabites et maître incontesté du Nedjd, étend son influence jusqu’aux approches de La Mecque et en Mésopotamie, où l’iman Mahmoud-Yahia tient en respect dans Sanâa les troupes épuisées du maréchal Feizi-Pacha, tandis que l’Assir et le Hedjaz, suivant l’exemple de l’Yémen, chassent les garnisons turques et s’affranchissent du joug ottoman.

Sans doute, l’Arabie est un foyer d’individualisme anarchique où chacun répète volontiers ce dicton : « Mon fusil seul est mon cheikh ; » sans doute, l’inaptitude des nomades à la discipline et à l’union contribue, plus que la force des armes, à rétablir l’autorité du Sultan. La ligne du Hedjaz, activement poussée, finira peut-être par faire le reste. Mais qu’un État d’Europe s’avise d’intervenir, et la situation change. Il ne tient qu’à l’Angleterre de détourner à son profit le mouvement d’indépendance dont elle

  1. Negib Azoury, le Réveil de la nation arabe dans l’Asie Turque. Plon, 1905.