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tout cela, mon cher comte, pour que je laissasse passer aussi longtemps sans vous rappeler la tendre amitié et le fidèle attachement qui ne peuvent finir qu’avec mes jours. »

La réponse que reçut Blacas à ces déclarations affectueuses et à ces témoignages d’intérêt était écrite sur papier de deuil.


« Turin, 23 août 1818. — Hélas ! monsieur le comte, vous, m’envoyez un triste cachet noir ; voilà le mien ; il est de la même couleur. Votre lettre est arrivée dans un des momens les plus pénibles de ma vie. Je viens de perdre le plus aimable et, le plus aimé des frères, le nouvel évêque d’Aoste, mort dans mes bras après une maladie assassine de quatre ou cinq jours, que personne n’a connue. Ah ! mon cher comte, quelle perte ! Elle empoisonne le reste de ma vie. Je ne vous parle pas du mérite de ce frère, de son éloquence, de ses travaux apostoliques, de son amabilité. Il n’a jamais eu l’honneur d’être connu de vous ; mais je sais bien que vous me plaindrez. Toute ma famille est atterrée de ce coup, et moi, en particulier, j’en suis demeuré presque hébété. Ce malheur, ajouté à tant d’autres amertumes, m’a conduit à un état d’apathie et de dégoût dont je n’avais pas d’idée. Ma tristesse cependant ne me rend pas insensible à la vôtre, au contraire, je la sens plus vivement. Vous êtes bien heureux au moins que Mme de Blacas, dans l’état où elle se trouve, ait pu supporter ce coup. J’ai eu peur, au pied de la lettre, en voyant dans votre épître combien elle était peu disposée à recevoir une secousse aussi cruelle. J’espère de tout mon cœur que le reste de la maladie si connue se passera heureusement et que vous serez de nouveau père sans qu’il vous en coûte une crainte. Je me rappelle souvent avec une douce mélancolie ces ; momens déjà si loin de nous, où je vous disais : Au nom de Dieu, faites-moi des Blacas. Vous branliez la tête alors comme si je vous avais parlé d’une chose impossible. Vous y voilà cependant, grâce à Dieu. Ce serait bien dommage qu’une aussi bonne race se fût éteinte.

« Le frère que je pleure prêchait à Bordeaux devant Madame la Duchesse d’Angoulême, au moment de la catastrophe. Elle le traita avec beaucoup de bonté. Un jour, entre autres, elle lui dit : Monsieur l’abbé, le livre de Monsieur votre frère a contribué en grande partie au rétablissement de ma famille. De toute fatuité libéra nos Domine. Mais, c’est seulement pour vous dire,