Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à son auguste frère ? Je serais fort en mesure auprès de lui. » La question trouva de Maistre peu satisfait de la situation qui lui était faite à Turin et plus disposé qu’il ne l’avait paru précédemment à aller à Rome. C’est ce qui résulte de sa réponse.


« Turin, 10 juin 1818. — L’aimable lettre que vous m’avez écrite le 29 mai dernier, monsieur le comte, exige que j’y réplique sur-le-champ. Si quelque influence partait du pays où vous êtes, il paraît qu’elle me serait nécessairement utile d’une manière ou d’une autre. Mais, avant tout, souvenez-vous bien, je vous prie, de ce que disait si bien d’Aguesseau : Dieu me préserve d’occuper la place d’un homme vivant ! Je ne sais pas mot des goûts, des vues et des projets de celui que je pourrais remplacer. Je ne connais même aucune de ses connaissances. Comment faire donc pour savoir ce qu’il pense ? Et comment faire des questions sans donner des soupçons ? Je serais inconsolable si je faisais tort ou chagrin à qui que ce fût. Voilà mes scrupules, mon très cher comte, et je pense que vous les approuverez. S’ils n’existent pas pour vous, c’est-à-dire si vous en savez plus que moi sur les intentions du possesseur actuel, je ne m’opposerais pas aux démarches que votre précieuse amitié vous suggérerait. Ce n’est pas qu’il n’y eût encore de graves inconvéniens de ce côté, quand tout irait comme nous voulons ; mais, il y en a de tout côté, et il faut absolument choisir.

« Que ne donnerais-je pas pour une conversation avec un certain pair de France[1] ! Je voudrais de mon côté vous parler des difficultés de ma position et de certaines chances qui doivent être pesées ; mais, à deux cents lieues, comme vous dites, il n’y a pas moyen, et c’est tant pis pour moi, car vos conseils pourraient m’être grandement utiles. Qui sait si vous ne regardez pas, comme certaines, certaines choses qui ne sont pour moi que possibles ? Ce que vous dites sur les postes qui gênent les communications

  1. Le comte de Blacas siégeait à la Chambre des pairs, et ce passage de la lettre de Joseph de Maistre répond à ce passage de la sienne, relatif à l’accueil qu’avait reçu son ami aux Tuileries : « Le désappointement de tout le monde est la cause de celui que vous avez éprouvé dans une certaine ville. J’aurais besoin de causer avec vous ; on ne peut dire à deux cents lieues ce que l’on pense et je crois que l’on communiquait plus facilement avec les amis avant que les postes fussent établies. »