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par l’état précaire de sa santé. Eloigné des conseils du Roi, sa voix ne pouvait plus s’y faire entendre et y eût-elle été entendue, elle n’eût pas été écoutée. S’étant rendu à Paris, l’année précédente, au-mois d’avril, sans y avoir été appelé et pour conférer avec le duc de Richelieu sur les difficultés d’exécution que soulevait le nouveau Concordat, il n’avait pu y rester que dix jours, le ministère ayant exigé du Roi qu’il donnât à l’ambassadeur l’ordre de repartir[1]. Il était rentré à Rome, après avoir constaté la défaite des opinions d’ancien régime qu’il avait toujours défendues et le triomphe de doctrines qu’il considérait comme attentatoires aux droits de la royauté. Puis, il avait vu des dissentimens s’élever entre le ministère et lui au sujet de ce Concordat qu’il se glorifiait d’avoir conclu, « dont tout le monde m’a fait des complimens, écrivait-il à Joseph de Maistre, et dont personne ne veut maintenant. » Il en était résulté pour lui un amer et profond découragement. Las de la politique, se confinant de plus en plus dans l’exercice de ses fonctions, il ne voyait rien au-delà du maintien de son établissement à Rome où il pouvait satisfaire son goût scientifique pour les choses de l’antiquité, et notamment pour les médailles dont il se plaisait à orner une riche collection.

Dans ces circonstances, il était de plus en plus possédé du désir de voir de Maistre à la légation de Sardaigne. Vainement, celui-ci lui disait à propos de cette mission de Rome : « Tout espoir s’évanouit ; rien ne me pousse de ce côté... Tout homme a une étoile qu’il ne peut vaincre ; la mienne a décidé irrévocablement que, jamais, je n’aurais ce que je désire et que, toujours, j’obtiendrais ce que je n’attends pas. » Blacas, loin de se laisser convaincre, ne désespérait pas de venir à bout des difficultés qui s’opposaient à la réalisation de ce projet. Il le déclarait le 29 mai 1818 : « Croyez-vous, demandait-il, que le roi Charles-Emmanuel[2] y puisse quelque chose et qu’il voudrait en parler

  1. Dans mon livre, Louis XVIII et le duc Decazes (Paris, Plon-Nourrit et Cie 1899), j’ai raconté les incidens auxquels donna lieu ce voyage qui fournit au comte de Blacas une preuve nouvelle de la fidèle affection que lui gardait le Roi, mais celle aussi de la loyauté avec laquelle ce prince entendait remplir ses devoirs de souverain constitutionnel. Une connaissance plus exacte du caractère de Blacas et l’examen de ses papiers autorisent à croire qu’il n’a pas trempé, quoi qu’en disent les rapports de l’envoyé prussien, comte de Goltz, dans les intrigues que nouèrent à Paris, pendant son séjour, les ennemis du cabinet Richelieu, à l’instigation de Talleyrand.
  2. Après avoir régné sur le Piémont de 1798 à 1802, le roi Charles-Emmanuel IV, las du pouvoir, avait abdiqué en faveur de son frère. Entraîné par une dévotion exaltée, il s’était établi à Rome et retiré dans un couvent où il recevait les plus éminentes personnalités de la société romaine. Il y mourut sous le froc en 1819.