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font époque : Pharsale, Actium, Lépante, etc. Les autres ne sont que des événemens. Mon fils y était encore et s’en est tiré. Il est aide de camp du comte de Wittgenstein, à qui l’Empereur dit : Wittgenstein, commencez ! Mon cher comte, 150 000 hommes se sont battus tout le jour avec deux mille bouches à feu. Mon fils m’écrit : « Le combat a été terrible à raison de l’énorme quantité de combattans et artillerie ; mais, sur chaque point, il était plus modéré qu’à Borodino, tant parce que l’immensité du champ de bataille empêchait les feux croisés, que parce que nous n’avions plus à combattre les Français de 1812, mais ceux de 1813. »

« Le soleil a vu peu de scènes aussi ravissantes que celle de l’entrée de l’Empereur à Leipzig, le 19. Mon fils m’en rend compte aussi d’une manière très intéressante. Je continue à être extrêmement content de lui. Sa mère qui est une sainte me l’a fait sage d’emblée comme au jeu du Vingt-et-un ; du moins, c’est ce que j’imagine de plus probable. Il sera certainement, ou pour mieux dire, il aura été bien sensible à votre souvenir que je lui ai fait connaître. Malheureusement, les lettres, à cette énorme distance, et au milieu de ce grand tourbillon, font très mal leur chemin.

« Lorsque la Providence déchaîne dans le monde, pour raisons à elle connues, quelque monstre que personne n’a la force d’égorger, elle y ajoute la loi salutaire et indispensable qu’il aura soin de s’égorger lui-même. C’est ce qu’a fait mon cher ami Napoléon. Je ne crois pas trop qu’il y ait de talent européen (excepté peut-être Wellington) capable de jouer but à but avec ce diable d’homme ; mais ses hideuses passions nous débarrasseront de lui. C’est lui et c’est lui seul qui nous a donné l’Autriche par ses extravagantes prétentions. L’Empereur l’a reconnu expressément. Malgré toute sa sagesse (qu’il est impossible d’exalter assez), jamais il n’aurait déterminé cette impassible Pannonie : heureusement les soufflets du beau-fils l’ont réveillée. Les vœux outrés, les projets vastes de Buonaparte ont tout perdu pour lui en forçant tout. Ses allies, comme vous l’aurez appris, ont fait