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devant la châsse où sont conservés les ossemens de la susdite servante du Christ. Comme je la regardais, elle me dit : Je suis celle que beaucoup et hommes croient être ici. » Le narrateur termine par ces deux argumens que « nulle autre église que Vézelay n’a jamais possédé le corps de la sainte » et que ses reliques opèrent chaque jour des miracles évidens, qu’il raconte.

Telle est la première relation ; on voit que les moines se contentèrent au début de montrer le corps, sans se croire tenus d’expliquer comment ils le possédaient.

2° Bientôt ils sentirent l’utilité de proposer aux incrédules une version plus précise. Il est remarquable que ce soit la chanson de Girard de Roussillon qui nous la conserve, et que cette version, nécessairement la seconde dans l’ordre chronologique, ne se trouve que dans un poème du XIIe siècle : c’est un indice de plus que ce poème n’est qu’un renouvellement d’une chanson de la seconde moitié du Xie : « Notre Seigneur, dit le poète (§ 612), fit à Berte ce grand honneur de lui donner la meilleure de ses saintes, celle à qui, pendant sa vie terrestre, il accorda le plus d’amour. Un jour, au temps de Pâques, il envoya trois moines et un prieur qu’il guida par une vision ; ceux-ci passèrent la mer à grand effroi, et des terres païennes transportèrent le corps saint à Vézelay au sommet de la montagne, et là ses serviteurs [Girard et Berte] lui font un monastère. »

Ce récit très simple représente assurément la plus ancienne explication précise que les moines aient donnée : ceux qui ont procuré à l’abbaye son meilleur trésor, ce sont ses fondateurs, Girard et Berte, comme il est naturel ; où l’ont-ils été quérir ? Outre-mer, en Judée, comme il est naturel.

3° Cette version, qui suffisait à tout, serait sans doute devenue définitive, sans l’étrange accident que Mgr Duchesne et G. Doncieux ont si bien raconté. Un moine de Vézelay qui voyageait en Provence y vit, dans l’église du bourg de Saint-Maximin près d’Aix, un sarcophage gallo-romain. Ce tombeau, qui existe encore, porte, entre autres motifs de décoration, une représentation du lavement des mains de Pilate. Mais le visiteur prit Pilate pour le Christ, le personnage qui présente l’aiguière pour la Madeleine tenant le vase de parfums, et crut que le bas-relief représentait l’onction de Béthanie. Ce sarcophage avait été taillé pour quelque riche chrétien du Ve siècle ; mais notre moine, trompé par les figures sculptées, se persuada qu’il avait sous les yeux