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est un baron allemand, Guintrant, vassal et parent de Girard, et qui avait disparu ; qu’était-il-devenu depuis tant d’années ? et pourquoi, de retour, peinait-il ainsi à construire le moutier de la sainte ? Il le raconte ainsi : « J’allai au saint sépulcre. A notre retour, un mécréant me prit. Plus de quinze ans j’y fus, je n’en pus revenir, quand Dieu me fit délivrer par sa Madeleine. Celui qui jeta Jonas du ventre de la baleine envoya son amie me délivrer ; c’est pour cela que je suis son serf et que je travaille pour elle. » Le poète qui a imaginé l’épisode de Guintrant savait donc que la Madeleine était surtout invoquée à Vézelay comme la patronne des prisonniers ; que les premiers visiteurs de son sanctuaire avaient été, selon la légende, ces malheureux, venus l’un d’une ville d’Auvergne, un autre de Bourges, un autre de Château-Landon, qu’elle avait visités dans leurs cachots et qui avaient apporté à Vézelay leurs fers brisés par ses belles mains. Et sans doute le poète avait vu de ses yeux, dans l’église de Vézelay, devant l’autel, cette grille faite au temps de l’abbé Geoffroi du métal des chaînes et des carcans, déposés en ex-voto par tant de captifs que la Madeleine avait délivrés. En outre, notre poète rapporte une certaine version de la translation de la sainte, et cette version, on le verra bientôt, représente un des momens les plus archaïques du développement de sa légende et de son culte.

On sait, en effet, que les origines du culte de la Madeleine bourguignonne sont fort récentes[1]. Mgr Duchesne écrit dans son admirable étude sur La légende de Madeleine : « Lazare, Madeleine et leur groupe ne furent longtemps connus dans tout l’Occident que par l’Evangile et les martyrologes ; ils n’ont ni légende, ni sanctuaire spécial ; cette situation se maintint pendant le Xe siècle tout entier ; nul lieu dans tout le monde latin où Madeleine, Lazare et ses sœurs fussent honorés avant le milieu du XIe siècle. » A Vézelay, non plus qu’ailleurs : l’abbé Paillon avant Mgr Duchesne, et bien avant eux l’abbé Sollier[2], les auteurs de

  1. J’exploite, pour ce que je dis du culte de Marie-Madeleine, l’utile compilation de textes de l’abbé Paillon, Monumens inédits sur l’apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence, 1848 ; l’étude de Mgr Duchesne dans les Annales du Midi, t. V, 1893 ; celle de Georges Doncieux (Annales du Midi, t. VI, 1894) que suit une note très précieuse de M. Antoine Thomas ; un mémoire de M. G. de Manteyer, les Légendes saintes de Provence et le martyrologe d’Arles-Toulon (Mélanges d’archéologie et d’histoire publiés par l’Église française de Rome, t. XVII, 1897, p. 467) et quelques pages de M. Isak Collijn dans les Uppsatzer i romansk filologi tellagnade Prof. P. A. Geijer, 1901, p. 243--250.
  2. Acta sanctorum, t. V de juillet, p. 209.