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Pothières dans la chanson de geste. « Cela est vrai matériellement, en ce sens que le poète ne désigne jamais cette abbaye par son nom ; mais il parle d’elle pourtant, par deux fois. Au § 672, Girard, déclarant qu’il veut fonder des monastères et rappelant le meurtre récent de son fils, dit : « Dans la vallée de Roussillon, là sera enterré notre fils, et nous auprès. » Le poète savait donc que dans l’église de l’abbaye de Pothières trois tombes entouraient le maître-autel : celle de Girard, celle de Berte, celle de Thierry, leur fils. Ailleurs, au § 531, le poète écrit, en retraçant la détresse de Girard et de Berte au temps de leur exil : « Si l’on vous contait tous leurs embarras, la faim, la soif, les peines, ainsi que le dit l’écrit qui est au moutier ! » Qu’est cela, sinon la déclaration nette qu’il a lu un récit hagiographique du genre de la Vita ? et dans quel moutier peut-il l’avoir lu, sinon dans celui qu’il n’a pas même besoin de nommer à son public, parce que son public, comme ses héros, comme lui-même, se savent sans cesse dans le voisinage immédiat de l’abbaye de Pothières et comme sous son regard ?

Donc, les deux pôles de l’action sont toujours Valbeton, c’est-à-dire Vézelay, — Roussillon, c’est-à-dire Pothières. Il en est ainsi dans les seuls textes anciens que nous ayons : la Vita et la chanson de geste renouvelée ; il en était donc nécessairement ainsi dans la chanson primitive, du moins si l’on admet avec M. P. Meyer, et comme j’ai fait aussi, que nos deux textes remontent, indépendamment l’un de l’autre, à une même source épique.

Mais si quelqu’un, pour un motif quelconque, veut contester que ce rapport soit le vrai, s’il refuse de spéculer sur ce poème primitif, puisqu’il est perdu, soit. J’admets, pour un instant, que ces localisations à Pothières et à Vézelay sont des inventions tardives et utilitaires de moines, et, dans la chanson, des interpolations récentes. Il restera ce fait considérable que, dès la seconde moitié du XIIe siècle, les jongleurs ont emboîté le pas à ces moines, ont accepté et propagé leurs fables intéressées. Il restera encore que, Valbeton et Roussillon écartés, l’on ne saura plus en quelle région pouvait se dérouler, avant l’intervention des moines de Pothières, la lutte de Charles et de Girard. De quelque manière que l’on conçoive le rapport de la chanson de geste et de la Vita, de deux choses l’une : ou bien nous nous en tiendrons à ces deux textes, tels qu’ils sont, nous refusant, par