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Ces faits acquis, voici un petit problème singulier. La chanson de geste dit (§ 126, etc.) que dans la plaine de Valbeton coule la rivière d’Arsen et la Vita (§ 147) appelle cette même rivière l’Arsis. Il semble impossible de séparer Arsis d’Arsen, et le poème primitif devait donner ce nom, de quelque forme d’ailleurs qu’il l’ait revêtue. Mais une seule rivière traverse la plaine de Pierre-Perthuis et de Valbeton, et c’est la Cure. L’auteur de la chanson ne nomme jamais la Cure ; au contraire, le moine auteur de la Vita explique que la Cure s’appelait aux temps anciens Arsis : mais, dit-il, au jour de la bataille entre Girard et Charles, elle fut grossie par le sang des blessés (morientium cruore) et, à cause de la douleur de cœur (a dolore cordis) ressentie par les amis de ceux qui périrent, elle cessa de s’appeler l’Arsis pour prendre désormais le nom de Core.

Deux explications sont possibles, et deux seulement, je crois. La première consiste à admettre que la Cure se sera, en effet, appelée d’abord d’un nom comme Arsis ou Arsen. Ce n’est pas impossible : il y a sur cette rivière une commune nommée Arcy (canton de Vermanton), qui figure dans des documens du XIIe et du XIIIe siècle sous les formes Arsi, Arseium, Arsiacum, et le cours d’eau a pu, à une certaine époque ou sur certains points de son parcours, recevoir son nom de ce « finage : » en ce cas, nous devrions admirer quelle parfaite connaissance le poète primitif avait de la région, et cet indice nous serait précieux[1].

Mais cette explication est improbable, car les mêmes documens anciens qui nomment le territoire d’Arcy, quand ils veulent désigner la rivière qui le baigne, appellent cette rivière la Cure[2], et, d’autre part, le nom de la Cure est attesté dès l’an 350[3]. Il est donc presque certain que le nom d’Arsis ou d’Arsen est imaginaire[4]. S’il est imaginaire, c’est un vrai jocus monachorum,

  1. Voyez Quantin, Cartulaire général de l’Yonne, t. II, pp. 102, 118, 310, 465, etc., et Recueil de pièces pour faire suite au cartulaire, p. 118.
  2. Quantin, Cartulaire, t. II, p. 443 : finagium de Arsi citra Coram fluvium et ultra. Cf. ibidem, p. 335.
  3. Dès 350, Ammien Marcellin nomme le vicus de Cora qui lui a donné son nom. La Notice de l’empire romain de l’an 400 parle de ce même Chora, et le nom, appliqué à la rivière, se trouve dès le milieu du VIIe siècle chez Johannes de Bobbio, fréquemment depuis. (Voyez L.-M. Duru, Bibliothèque historique de l’Yonne, Auxerre, 1850, pp. 22, 43, 164, 337, 339.)
  4. Le moine aura inventé ce nom soit sous l’influence d’Arcy-sur-Cure, soit parce qu’il connaissait l’un des cours d’eau de France qui s’appellent Arce (un ruisseau de ce nom se jette dans l’Ource à sept ou huit lieues de Pothières) ; ou bien il l’a fabriqué à plaisir.