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« Si l’Autriche est vaincue, tout ce qui reste encore debout du monde historique s’écroule. Et c’est pourquoi je regarde comme vraisemblable la victoire de la Prusse, car le train du monde est anti-historique. »

Son traditionalisme catholique, son sens du droit, sa confiance dans un Dieu juste, souffraient cruellement.

Le 4 juillet, à la suite d’une conversation avec le peintre Steinle, il écrivait : « On a bien de la peine à entrer dans ces décisions divines sans en conclure que le droit n’a sa raison d’être que pour les petites affaires des humains ; que dans l’ensemble, c’est la violence, l’intrigue, la ruse, qui sont appelées à régner, et que ni le but ni les moyens ne sont soumis à des principes moraux et religieux. »

Déjà certaines désertions se produisaient, parmi les fanatiques de la Grande Allemagne, et sans vergogne, elles s’étalaient devant Reichensperger, devant celui que naguère on accusait de tiédeur. « Un conseiller en appel a résolu de plier les genoux devant le « succès » et personne peut-être ne s’était plus enflammé, personne n’avait plus radoté pour l’Autriche. Ainsi va le monde ! »

Le monde souriait aux vainqueurs de Sadowa, et le 9 août, Reichensperger écrivait :

« Consummatum est ! L’Autriche est expulsée de l’Allemagne. »

Endolori, ne comprenant plus, il faisait des articles sur l’art, écoutait son ami Thimus lui lire un essai sur la vieille morale chinoise, et puis prenait le train pour un tour de Flandre. « Le monde sent mauvais, murmurait Mallinckrodt ; après avoir bien raisonné, je suis occupé à me courber, progressivement, sous ce que Dieu permet : qui sait quelles sont ses fins ? Attendons en patience ; je me jette sur un sopha et je lis des romans, — si seulement j’en avais de bons ! » Janssen, l’historien, tremblait de tous ses nerfs, et fut quelque temps à se remettre. Les Feuilles historico-politiques de Munich cherchaient un moyen de barricader la Bavière contre le péril prussien. Ketteler, de son évêché de Mayence, écrivait à l’empereur d’Autriche une longue lettre endeuillée : « Tout ce qui pouvait nous rappeler le vieil Empire allemand, tout cela est détruit. Une Allemagne sans Autriche, sans la maison impériale, ce n’est plus l’Allemagne. Nous n’avons plus qu’une espérance, c’est que cela ne dure pas. »