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allemande était impeccable de cohésion. De quel poids allait peser, en face d’elle et contre elle, la cohue bariolée qui s’intitulait les Amis de la Grande Allemagne, et dans laquelle figuraient, à côté d’un certain nombre de laïques et de prêtres enchaînés à l’Autriche par toutes les fibres de leur âme, des démocrates anticléricaux comme Maurice Mohl, soucieux de préserver les libertés populaires, dans les États du Sud, contre les convoitises du militarisme prussien ? L’incohérence de cet assemblage, sur lequel au reste Ketteler semble avoir fondé peu d’espoirs, était une cause de paralysie. C’est à la même impuissance, provenant du manque d’harmonie réelle, qu’était voué, en 1863, le somptueux congrès princier convoqué à Francfort par l’empereur François-Joseph. Les espérances qu’il laissa furent vite évanouies. Par leurs savans travaux d’approche, par leur invisible conquête des esprits, des parlemens et des cabinets, l’école historique prussienne et le Nationalverein déconcertaient à l’avance toute tentative adverse.


VI

L’opinion catholique en Allemagne, singulièrement décontenancée, se consolait et se vengeait par certaines affirmations tenaces : on n’est jamais complètement vaincu lorsqu’on a conscience d’avoir le droit pour soi, et les partisans de la Grande Allemagne cultivaient et fortifiaient en eux cette conscience.

Le prince de Hohenlohe, futur ministre en Bavière et futur chancelier de l’Empire, se trouvait à Paris en mars 1862 ; et dans le recul même à la faveur duquel il observait son pays, il écrivait :


Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais un programme grossdeutsch pratique. L’antagonisme entre la Prusse et l’Autriche peut être déploré, mais on ne peut pas l’écarter par des argumens… Tout ce qu’on raconte du rétablissement d’un empire allemand au profit de la dynastie des Habsbourgs est une vaine rêverie. Mais si on ne veut pas une république grossdeutsch, si l’on se rend compte que la prolongation de l’état de choses actuel conduit à la révolution, on doit se tourner vers un projet qui ne sorte point du cadre des possibilités… Alors, logiquement, on en revient à l’idée de Radowitz : un État fédératif (Bundesstaat) sous la Prusse, et une alliance avec l’Autriche… L’idée échoua contre la résistance du parti catholique, contre sa répugnance à accepter l’unité sous un empereur protestant. Je crois qu’en cela le parti catholique est dans l’erreur. Par son rattachement