Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps que la France, tombée sur les Autrichiens ! On en aurait fini avec eux. » L’Historische Zeitschrift accumulait savamment tous les argumens dont l’opinion allemande conduisit, au jour venu, qu’il fallait en finir.

Dans les principales universités, des professeurs d’histoire prolongeaient ces leçons et développaient ces conclusions, avec un raffinement acharné. À Berlin, Droysen remontait jusqu’à l’acquisition même du Brandebourg par les Hohenzollern, pour démontrer la « nécessité historique » qui mettait la Prusse en collision avec l’Autriche. À Leipzig, puis à Fribourg, Treitschke, menaçant de la voix et du geste les « capucinades ultramontaines, » expliquait que le duel entre le catholicisme et le protestantisme symbolisait l’opposition même entre l’esclavage et la liberté ; que le protestantisme était la marque propre de l’esprit allemand ; que la Prusse, parce que protestante, était le seul État allemand de caractère purement germanique ; qu’elle devenait le centre autour duquel il fallait que l’Allemagne morcelée s’articulât. Adieu donc les rêves romantiques, adieu l’internationalisme chrétien, et silence aux apôtres des trêves de Dieu ! L’Allemagne ne grandirait que par l’institution de l’État guerrier, et cette institution serait réalisée par la Prusse. Les penseurs et les historiens catholiques de la première moitié du siècle étaient éconduits avec dérision. Treitschke n’avait que faire de cette littérature. Il partageait sur la poésie l’avis de Gervinus : il fallait qu’elle fût « pratique, » qu’elle servit les idées modernes, ou bien on la mettrait à la porte de la nouvelle Allemagne, et sans couronnes de fleurs ! Il estimait Cavour parce que Cavour n’avait pas de lettres, et n’avait lu ni Dante ni l’Arioste[1]. Non moins hostile à la poésie, à l’art, à tout ce qui pouvait distraire l’âme allemande, Häusser, l’ancien antagoniste d’Auguste Reichensperger au parlement d’Erfurt, maîtrisait et charmait la jeunesse d’Heidelberg. On saluait en lui le premier Allemand du Sud qui eût osé, dans un ouvrage savant, faire l’éloge de Frédéric II ; on applaudissait à ses leçons d’histoire comme à un enseignement de politique et de patriotisme ; on aimait à l’entendre dire que l’histoire et la nation devaient se rapprocher. Un ardent anticléricalisme l’obsédait. Ennemi du catholicisme, ennemi de l’Autriche, il ne faisait que tirer la conséquence de ses

  1. Ici même, les lecteurs de la Revue n’ont pu l’oublier, Treitschke a été l’objet d’une étude très fouillée de la part de M. J. Bourdeau (Revue du 15 juin 1889].