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en Allemagne, et de le contenir, et même de le réprimer. L’anticatholicisme était pour elle un article d’exportation, qu’elle jetait sur le marché des idées, d’un bout à l’autre de la Confédération ; et les Feuilles historico-politiques de Munich affirmaient, dès 1854, que, partout où il y avait occasion de léser ou de maltraiter l’Église, « on devait suspecter l’influence prussienne, l’intérêt prussien, les pensées d’hégémonie prussienne. » Les documens privés ou diplomatiques publiés beaucoup plus tard, et qui nous ont fait connaître l’action de Bismarck à Francfort et à Carlsruhe entre les années 1853 et 1855, confirment avec éclat les soupçonneux pressentimens de l’organe bavarois.

Ce que semblait rêver Bismarck, ce n’était rien de moins que la constitution d’une sorte de Corpus Evangelicorum, d’une ligue des souverainetés protestantes allemandes contre le catholicisme et contre l’Autriche. « Le combat contre l’Ecclesia militans, » contre « le papisme adorateur d’idoles, hostile aux gouvernemens protestans et hostile à la Prusse, m lui paraissait l’un de ses premiers devoirs. « Catholicisme et ennemi de la Prusse, écrivait-il à Gerlach, sont deux termes synonymes, » Il notait tous les petits faits et tous les petits bruits dont il pouvait conclure qu’en Bade l’Autriche soutenait l’archevêque Vicari dans son conflit avec le gouvernement grand-ducal. Libéralités du cabinet de Vienne en faveur des prêtres badois condamnés à l’amende ; voyages fréquens à Fribourg du ministre Prokesch, qui représentait François-Joseph à Francfort ; propos de certains prêtres badois et brochure du publiciste Buss, qui semblaient dénoter une propagande pour l’Autriche : tout cela était relevé, commenté, exagéré par Bismarck, dans les dépêches que, de Francfort, il envoyait à son gouvernement. Il accusait l’Autriche de n’envenimer en Bade les querelles religieuses que pour y trouver une occasion de renverser le ministère badois, coupable d’une trop vive sympathie pour la Prusse : c’était un motif suffisant pour que la Prusse soutînt ce ministère contre l’archevêque, et la Gazette de la Croix péchait contre la Prusse, lorsqu’elle consacrait à Vicari des articles flatteurs. Au demeurant, il s’agissait d’un intérêt plus grave que l’opportunité politique du moment. La victoire de l’archevêque de Fribourg, affirmait Bismarck à Gerlach, serait « la défaite du protestantisme, de la souveraineté laïque » (der landesherrlichen Gewalt) ; ce serait la défaite de la Prusse comme puissance protectrice du