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d’imiter en Égypte, bien qu’avec plus de discrétion et avec le consentement des autorités légitimes, la politique à double face d’Antoine. Et des difficultés inattendues s’étaient aussitôt élevées du fond même de cette contradiction insoluble. Dans le palais immense et merveilleux des Ptolémées, au milieu du luxe, des plaisirs et des hommages prodigués à Gallus qui occupait le trône des Lagides, ce petit bourgeois de Forum Julii courait le risque de perdre la raison, comme cela était arrivé à Antoine. Il n’avait pas seulement accumulé d’immenses richesses[1], accepté des hommages royaux, et fait élever en son honneur des statues de tous les côtés[2], mais il s’était mis aussi à traiter l’Égypte avec la violence d’un tyran oriental, et il commençait à songer à fonder lui-même un grand empire. Ayant quitté Alexandrie pour aller réprimer une petite révolte qui avait éclaté dans le centre, il avait voulu faire un exemple et il avait complètement détruit Thèbes[3] ; puis, contre la volonté d’Auguste, il avait repris, vers l’intérieur du continent africain et vers les sources du Nil, la politique d’expansion, qui, à toutes les époques, a été comme une nécessité pour tous les États qui ont possédé l’Égypte. Cherchant sans doute non seulement à satisfaire ses désirs de gloire et de butin, mais aussi à faire admirer aux Egyptiens le nouveau régime, à les convaincre qu’il était plus hardi et plus fort que le gouvernement déchu des Ptolémées, Gallus, probablement en l’an 28, avait fait une expédition dans la Nubie (le Soudan d’aujourd’hui). Il était arrivé, semble-t-il, jusqu’à Dongola, dans une région, — il se vantait peut-être en le disant, — où aucun général de Rome, ni aucun roi d’Égypte n’avait jamais mis le pied ; et il avait réussi à faire accepter le protectorat de Rome à un lointain prédécesseur de Ménélik, le

  1. Amm. Marc, 17, 4, 5 (il y a de l’exagération dans ce qu’il dit, car c’est la version de l’aristocratie).
  2. Dion, 53, 23. Cela est confirmé par l’inscription découverte récemment en Égypte : Sitzungberichte König. Preuss. Akad., 1896, I, p. 476.
  3. Hiéron (Chron. ad ann. Abrah., 1990=27 av. J.-C.) dit : « Thebæ Ægypti usque ad solum erutæ. » Ne convient-il pas de rapprocher ce renseignement de l’autre contenu dans l’inscription rappelée plus haut et découverte en Égypte : « defectionis Thebaidis… victor ? » Si la Thébaïde, comme le dit l’inscription, se révolta, il est plus que probable que Thèbes fut détruite par Asinius Gallus pendant cette guerre. Ce fait jette une première clarté sur le dissentiment qui s’éleva entre Auguste et Gallus, et qui dut naître d’une façon différente de comprendre le gouvernement de l’Égypte. Auguste, qui voulait en Orient une politique conciliante. ne pouvait approuver ces violences barbares.