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Très riche, très puissant, très admiré, comblé d’honneurs, presque adoré et divinisé, Auguste cependant ne se faisait pas illusion sur ce point, il comprenait que ses forces étaient petites en comparaison des difficultés avec lesquelles il devait lutter. Ce fut la cause principale qui fit durer sa puissance et sa fortune. On ne peut expliquer les dix premières années de son gouvernement, et cette sorte d’appréhension continuelle de sa propre puissance qui le domine tout entier, si l’on ne tient pas compte de l’immense impression que devaient avoir faite sur son esprit nerveux et craintif les destinées tragiques des quatre personnages qui avaient successivement réussi à se mettre à la tête de la République, de Crassus, de Pompée, de César, d’Antoine. Celle d’Antoine surtout, dont la chute si récente, si étrange, si invraisemblable, devait effrayer Auguste, encore plus que les précédentes, parce qu’il était du petit nombre de ceux qui en connaissaient le secret. Combien fragile était la puissance à cette époque ! Avec quelle rapidité l’admiration exagérée de la foule se tournait en haine, quand survenait l’inévitable désillusion, dont les masses, au lieu d’accuser leur propre sottise, faisaient toujours un crime à l’homme qu’elles avaient trop admiré auparavant ! Il suffisait d’une erreur, d’une imprudence, et le maître de l’Empire, l’homme puissant entre tous, voyait crouler sur lui toute sa puissance et était écrasé sous ses ruines. Rien ne devait donc paraître plus dangereux à Auguste en l’an 27 avant Jésus-Christ, que de jouer une nouvelle comédie politique devant le public irritable qui, au milieu du spectacle, avait déjà lapidé plusieurs acteurs. Quel avantage Antoine avait-il tiré de sa politique à double face, si ingénieuse qu’elle eût été, et de cette longue comédie où il avait joué tantôt le rôle de roi égyptien, tantôt celui de proconsul romain ?

Vouloir trop faire et trop briller, avoir recours, pour cela, à des moyens trop ingénieux, c’était chose trop dangereuse, quelles que fussent l’habileté, l’intelligence, la fortune d’un homme. Il fallait donc rentrer dans le vrai par toutes les portes, même par les plus basses et les plus étroites, par la porte de la sagesse, même par celle de la modestie ; il fallait se tenir à l’écart, se faire petit, et commencer sans bruit, avec une activité cauteleuse et infatigable (festina lente était un de ses mots favoris)[1],

  1. Suét., Aug., 25.