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Leges signifie ici l’ordre rétabli, la République restaurée. « À quoi sert, veut dire le poète, d’avoir reconstitué la République, si on ne purifie pas les mœurs corrompues ? Même les bonnes institutions ne donneront alors que de mauvais résultats[1]. » Il est donc nécessaire avant tout d’arracher des cœurs ce désir ardent de la richesse qui est l’origine de tous les maux :


Campestres melius Scythæ,
Quorum plaustra vagas rite trahunt domos,
Vicunt et rigidi Getæ,
Immetata quibus iugera liberas
Fruges et Cererem ferunt[2]


Mais Horace ne croit pas que les hommes se corrigeront d’eux-mêmes, se rendant aux bonnes raisons et aux sages conseils : c’est à la force des lois qu’il faut recourir :


O quisquis volet impias
Cædes et rabiem tollere civicam,
Si quæret Pater Urbium
Subscribi statuis, indomitam audeat
Refrenare licentiam,
Clarus postgenitis : quatenus, heu nefas !
Virtutem incolumem odimus,
Sublatam ex oculis quærimus invidi.
Quid tristes querimoniæ
Si non supplicia culpa reciditur[3]


Et ce qu’Horace exprimait ainsi en des vers magnifiques, on le répétait partout en Italie, sous une forme ou sous une autre, et on s’adressait à Auguste pour lui réclamer des lois contre le luxe, contre les mauvaises mœurs, contre le célibat, pour l’amener à rétablir l’ancienne police des mœurs privées que l’aristocratie avait pendant tant de siècles confiée aux censeurs[4]. La

  1. Horace ne veut pas dire, comme il pourrait sembler à une lecture superficielle, que les lois sont inefficaces pour réformer les mœurs. Si ces deux vers signifiaient cela, ils seraient en contradiction avec les vers précédens dans lesquels le poète réclame des lois et des châtimens pour réprimer les vices (v. 28-29… « Indomitam audeant Refrenare licentiam ; v. 34 : « Si non supplicio culpa reciditur. ») Horace croit si bien à l’utilité des lois pour la réforme morale, que l’ode tout entière est faite pour les demander. Il veut, en somme, dire que les meilleures lois politiques et sociales sont inutiles si les mœurs sont corrompues ; il faut donc commencer par réformer les mœurs et par faire des lois spéciales pour cela.
  2. Odes, 3, 24, 9 et suiv.
  3. Odes, 3, 24, 25 et suiv.
  4. En l’an 22. pour satisfaire l’opinion publique, on créa deux censeurs (Dion. 34, 2). Il n’y en avait pas eu depuis longtemps. Mais, comme nous le verrons, cette tentative pour renouveler la censure ne réussit pas. (Velleius Paterculus, 2, 95.)