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son étendue, par sa situation géographique, par sa richesse, par sa vieille civilisation, de l’emporter sur la partie occidentale qui était moins civilisée et plus pauvre, et sur l’Italie elle-même, située à l’écart, sur les frontières de l’empire et sur le seuil de l’Europe barbare. Le roman de Cléopâtre voulant conquérir l’Italie et dominer le Capitole n’était au fond que l’explication populaire du danger oriental. De là était venue la formidable explosion du sentiment national qui, après la bataille d’Actium, avait précipité Antoine dans l’abîme et obligé Auguste à tirer par la conquête de l’Egypte et la destruction de la dynastie des Ptolémées une vengeance éclatante des humiliations que l’Orient avait infligées à Rome, pendant la guerre civile. De là aussi étaient venus les bruits qui circulaient continuellement sur un transport possible de la capitale en Orient ; les vives inquiétudes des patriotes romains à cause de ce danger, les avertissemens d’Horace qui, dans la troisième ode du troisième livre, fait symboliser par Junon la lutte entre l’Orient et Rome dans le mythe de Troie. De là enfin était venue l’immense popularité dont jouissait à ce moment l’idée de la revanche contre les Parthes. La conquête de l’Egypte n’avait pas encore satisfait le patriotisme romain. Grisée par la légende populaire d’Actium qui représentait la dernière guerre comme un grand triomphe de Rome, trompée par la légende d’Auguste qui était censé devoir réussir en tout, même dans les entreprises les plus difficiles, l’Italie voulait continuer en Orient, après la conquête de l’Egypte, ses représailles et ses vengeances. Elle songeait surtout à la conquête de la Perse qui aurait entièrement rétabli le prestige romain dans toute l’Asie et qui aurait fourni le grand butin et les trésors dont on avait besoin pour réorganiser les finances de l’Empire. Par la voix des poètes qui annonçaient à chaque instant les départs de légions pour des conquêtes lointaines, et même la conquête de l’Inde, l’Italie reprenait le grand projet de César et d’Antoine[1].

  1. Voyez Hor. Carm., 1, 2, 32 ; 1, 2, 49 ; 1, 12, 53 ; 1, 29, 4 ; 3, 2, 3 ; 3, 5, 4 ; 3, 8, 19 ; Prop., 2, 7, 13 (si l’on accepte la correction Parthis... triumphis) ; 3, 1, 13 et suiv. ; 4, 1, 15 et suiv. ; 4, 4 ; 5, 3, 7. Ces passages nous montrent qu’à cette époque tout le monde était persuadé qu’Auguste avait l’intention de faire une grande expédition en Extrême-Orient, comme Crassus, César et Antoine, et cela nous est confirmé par ce fait que, quand, vers la fin de l’année, Auguste partit pour l’Espagne, il laissa croire qu’il allait d’abord faire la conquête de la Bretagne et qu’il ferait ensuite celle de la Perse. Cette opinion que l’on avait était donc une raison si forte de sa popularité, qu’Auguste, si éloigné qu’il fût de tenter cette entreprise, n’osa pas démentir les bruits qui couraient dans le peuple à ce sujet, et il laissa dire, en attendant qu’il pût préparer un accord diplomatique.