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âge du monde[1]. On avait étudié beaucoup à Rome, au milieu des orages révolutionnaires, la philosophie pythagoricienne, et Varron[2] avait répandu à Rome la doctrine d’après laquelle les âmes revenaient périodiquement du séjour des Champs Elysées sur la terre[3]. Une autre doctrine s’était greffée sur celle-là, recueillie également par Varron, et d’après laquelle tous les 440 ans l’âme et le corps se retrouvent et le monde redevient ce qu’il était[4]. On vivait en somme depuis trente ans dans l’attente assez vague d’un événement heureux et magnifique, qui résoudrait toutes les difficultés ; et justement, parce que les idées qu’on avait sur cet événement étaient très imprécises et disparates, tout le monde pouvait le reconnaître dans l’avènement d’Auguste, se convaincre que c’était bien lui l’homme attendu depuis si longtemps et appelé, comme le dira bientôt Virgile, à condere aurea sæcula, à réaliser toutes les espérances confuses qui captivaient alors les esprits.

Il y avait pourtant dans l’Empire un homme qui ne croyait pas à cette belle légende d’Auguste, qui s’en défiait et en avait presque peur : c’était Auguste. Depuis cinquante ans les historiens répètent à qui mieux mieux qu’Auguste travailla pendant toute sa vie, avec une persévérance qui ne se démentit jamais, à concentrer, comme César, tous les pouvoirs entre ses mains sans en avoir l’air, à revêtir de vieilles formes républicaines, auxquelles l’œil des contemporains était accoutumé, la nouvelle monarchie, dont il façonnait secrètement, à l’insu de tous, la forte ossature. Mais cette légende n’est restée aussi longtemps en crédit que parce que personne n’a encore étudié à fond l’œuvre et l’époque de celui que l’on a coutume d’appeler si improprement le premier empereur romain. Bien que ce soit chose difficile, après vingt siècles et quand on connaît les événemens qui se sont succédé, de se représenter une situation telle que la voyaient les contemporains ; bien que, par suite de cette difficulté, — c’est la seule que présente l’histoire, mais elle est si grande que la plupart des historiens ne savent pas la surmonter, — on ait si mal compris Auguste et son étrange

  1. Serv. ad Virg. Egl. 4, 4.
  2. Aug., De civitale Dei, 7, 6.
  3. Virgile la reprendra dans l’Énéide, VI, 724 et suiv. Voyez Boissier, la Religion romaine d’Auguste aux Antonins, Paris, 1892, I, p. 294 et suiv.
  4. Aug., De civitale Dei, 22-28.