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maintenant était féru d’antiquité ; et il suffisait qu’une chose fût ancienne pour qu’on la trouvât meilleure que toutes les choses présentes. En politique, on regrettait la grande aristocratie qui avait gouverné l’Empire jusqu’à la guerre de Perse. Non seulement on trouvait que les mœurs privées, la famille, l’armée, les institutions, les hommes s’étaient amoindris et corrompus de siècle en siècle, mais on allait jusqu’à préférer les écrivains classiques, Livius Andronicus, Pacuvius, Ennius, Plaute et Térence aux écrivains plus riches et plus vivans de la génération de César. C’est pour répondre à un sentiment universellement répandu que le Sénat avait, l’année précédente, ordonné de réparer les temples de Rome, avant les routes d’Italie, bien qu’elles fussent dans le plus mauvais état. Tout le monde pensait maintenant que Rome était arrivée à une telle grandeur, parce qu’avant de devenir la taverne et le lupanar du monde, elle avait été une ville sainte, où, invisibles et présens partout, d’innombrables dieux avaient pendant des siècles veillé sur la santé des corps et sur la droiture des intentions, sur la chasteté des familles et sur la discipline des armées, sur la probité des individus et sur la justice publique, sur la concorde civique et le succès des guerres. Des liens essentiellement religieux n’avaient-ils pas, depuis des siècles, uni l’épouse au mari, le fils au père, le patron au client, le soldat au général, le citoyen au magistrat, le magistrat à la République et tous les citoyens entre eux ? Il était donc urgent de reconstituer avec l’armée, la famille et les mœurs d’autrefois, cette République pieuse qui avait conquis le monde, en combattant et en priant.

Sans doute l’œuvre était immense ; mais tout le monde la jugeait facile et d’une réussite certaine, maintenant qu’Auguste était, avec les pouvoirs de princeps, à la tête de la République. Dans toute l’Italie des admirateurs exaltés lui attribuaient tout le mérite de la situation présente et plaçaient en lui les plus grandes espérances pour l’avenir. N’était-ce pas lui, en effet, qui avait percé les desseins criminels et ténébreux d’Antoine et de Cléopâtre, alors qu’ils préparaient en silence pour Rome les chaînes du plus honteux esclavage ? N’avait-il pas répandu en Italie les trésors des Ptolémées ? N’avait-il pas mérité la reconnaissance des vétérans qui, peu à peu, entraient en possession des terres qui leur avaient été promises ; des municipes, qui recevaient des sommes considérables en compensation des domaines aliénés ;