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liberté du travail : pourquoi n’a-t-on pas respecté la leur ? Tout cela est très bien, mais il faut que Paris soit éclairé. « La société aie droit de vivre, » s’est écrié M. Clemenceau, et ce mot a été tout son discours. Lorsque les boulangers se sont mis en grève dans certaines villes, on n’a pas hésité une minute à faire faire du pain par les soldats, parce que, si les ouvriers boulangers ont le droit de se mettre en grève, la population a toujours celui de manger du pain. Il y a des besoins si impérieux que le gouvernement ne peut y laisser porter atteinte au nom d’aucune théorie. L’éclairage de Paris est un intérêt public, qui ne change pas de caractère pour être confié à l’industrie privée. Au surplus, quand les ouvriers se mettent en grève, et surtout quand ils le font par surprise, l’employeur a le droit de reprendre toute sa liberté. L’employé, c’est-à-dire l’ouvrier, sera toujours tenté d’abuser de son droit de grève, si, en se déliant à l’égard du patron, il peut le considérer comme toujours lié avec lui. Dès que la grève est proclamée, il n’y a plus de contrat ; chacun pourvoit à son intérêt comme il l’entend, comme il le peut ; et, lorsqu’il s’agit d’un intérêt public, l’intervention de l’autorité publique est non seulement légitime, mais nécessaire. M. Jaurès, dans ses articles, ne cesse pas de répéter qu’on emploie contre les ouvriers « la force et la ruse. » Si on emploie la force, ce n’est pas contre les ouvriers, mais au profit d’un besoin général. Quant à la ruse, il faut vraiment, après la manière dont la grève a éclaté, une singulière hardiesse pour l’attribuer à d’autres qu’aux ouvriers, ou à leurs meneurs.

Tout est rentré dans l’ordre, puisque Paris a retrouvé sa lumière électrique : il n’en reste pas moins une fâcheuse impression de cette grève de deux jours, parce que le but n’en apparaît pas clairement. Elle était inutile. Les ouvriers avaient d’autres moyens d’arriver à leurs fins : ils n’ont même pas essayé d’y recourir, Qu’ont-ils donc voulu ? La plupart d’entre eux n’en savent rien, mais la Confédération générale du travail le sait fort bien. Elle a voulu intimider. Elle a usé d’audace dans la rapidité de l’exécution, et ensuite de prudence dans l’à-propos avec lequel elle a battu en retraite. Mais on peut être certain qu’elle reviendra à la charge, et que ces premiers essais de mobilisation seront suivis de quelques autres : les représentans des ouvriers l’annoncent d’ailleurs avec beaucoup d’arrogance. La maladresse est d’avoir choisi Paris pour premier théâtre. Quelque puissante qu’elle soit, la Confédération générale du travail a besoin de trouver un point d’appui dans l’opinion publique : elle n’en trouvera pas lorsqu’elle attaquera Paris dans ses organes vitaux.