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assez confuses, relatives à leurs retraites. Leur a-t-on rien refusé ? Ont-ils rencontré une résistance qui ait pu, dans une mesure quelconque, expliquer de leur part le recours à la grève ? Non : rien encore n’était décidé, tout restait en suspens, le rapport même n’était pas fait, lorsqu’ils ont jeté Paris dans les ténèbres. Ils ont voulu par-là donner plus de force à leurs revendications en montrant qu’ils étaient prêts à les soutenir par tous les moyens. L’affaire a été conduite comme une conspiration, et les journaux socialistes n’ont pas manqué de glorifier, le lendemain, la merveilleuse discipline avec laquelle le secret a été gardé jusqu’à la dernière minute et la résolution exécutée avec ensemble. Il y a là en effet, et plus encore pour l’avenir que pour le présent, une menace inquiétante. Nous ne contestons pas le droit des ouvriers de se mettre en grève ; mais, lorsqu’ils en usent comme ils viennent de le faire, sans avertissement préalable, sans essai de conciliation, sans même savoir si on leur donne ou si on leur refuse satisfaction, n’est-ce pas le cas de dire : summum jus summa injuria, l’abus du droit est le contraire du droit ? C’est la guerre sans déclaration de guerre introduite dans la lutte des classes. Et lorsqu’on songe aux intérêts d’ordre public qui, dans l’espèce, sont en cause et risquent d’être gravement compromis, il est au moins permis de penser que la manière dont les ouvriers usent de leur droit impose par contre au gouvernement des devoirs impérieux. Les a-t-il remplis ?

Il ne serait pas juste de dire qu’il y ait complètement manqué. Tous les gouvernemens, quels qu’ils soient, ont à de certaines heures le sentiment très vif de leur responsabilité. Jouer avec la sécurité de Paris est chose imprudente : on s’expose de sa part à une irritation qui a de nombreux moyens de se manifester. Aussi longtemps que M. Viviani n’a éteint que les lumières du ciel, on a pu hausser les épaules et passer outre ; mais s’il éteint, ou s’il laisse éteindre les lumières de la terre, son cas deviendra bientôt plus mauvais ; on ne se contentera pas de se moquer de lui. A quoi sert donc le ministère du travail ? Nous voudrions pouvoir dire qu’il ne sert à rien ; mais, à parler franchement, il a servi jusqu’ici à augmenter les prétentions des ouvriers et à surexciter leurs impatiences. Le ministère actuel, rien que par sa composition, est certainement pour quelque chose dans les événemens qui se passent et dans ceux qui se préparent ; les ouvriers se croient en droit de lui demander le paradis terrestre que M. Viviani leur a formellement promis ; et, s’il ne le leur donne pas, ils proclament la grève. Quand la Providence est trop